Après quelques instants d'hésitations - où le couple se demande s'il s'agit d'un ours ou d'un mouton - il ne fait aucun doute que l'animal qui a trouvé refuge dans leur jardin est bien un chien (un akita pour être précis). Mais ce chien a la manie de se frotter sur tout ce qui bouge, et plus particulièrement sur la gent humaine masculine. Qu'importe, il sera finalement adopté par la famille et rebaptisé Stupide.

Bien que le chien ait donné son nom au roman, il n'est que le fil rouge de ce roman. John Fante nous parle avant tout des W.A.S.P., ces familles américaines bien pensantes pour qui l'apparence prime. De l'extérieur, la famille Molise doit effectivement faire illusion, mais elle est en réalité au bord de l'implosion : la mère ne supporte plus son rôle de femme au foyer et menace de partir à tout bout de champ, le père rêve parfois de tuer sa femme ou d'échanger ses enfants contre une Porsche neuve. Il faut dire que ces derniers le lui rendent bien et le méprisent totalement et superbement.

L'écriture, qui au départ m'a paru manquer de liant, est finalement en parfaite cohérence avec le propos. Henry, le narrateur est au bord de la crise de nerf, son débit est rapide, il jure, peste et tempête. Avec beaucoup de cynisme et d'humour, John Fante met en scène les déboires conjugaux et familiaux de cette famille de frapadingues. Mais ce qui transparaît, sous l'apparente légèreté, c'est cette angoisse parentale de voir ses enfants partir un à un. Car la maison vide, il faudra alors se retrouver face à face.

Contrairement à ce qu'annonce la quatrième de couverture, je ne suis pas sûre que ce roman soit le meilleur remède contre les idées noires. Car si l'humour noir est présent de la première à la dernière page, il y a aussi un arrière goût un peu amer et nostalgique, plus prégnant à mon sens que l'ironie de surface. Et loin de me déplaire, cet arrière goût donne du corps à l'intrigue et la rend plus intéressante qu'un simple divertissement.

Ce roman a également séduit : Valériane, Sylvie, Ys et Lily

Laurence

Extrait :

J'étais las de la défaite et de l'échec. Je désirais la victoire. Mais j'avais cinquante-cinq ans et il n'y avait pas de victoire en vue, pas même de bataille. Car mes ennemis ne s'intéressaient plus au combat. Stupide était la victoire, les livres que je n'avais pas écrits, les endroits que je n'avais pas vus, la Maserati que je n'avais jamais eu, les femmes qui me faisaient envie, Danielle Darrieux, Ginal Lollobrigida, Nadia Grey. Stupide incarnait le triomphe sur d'anciens fabricants de pantalons qui avaient mis en pièces mes scénarios jusqu'au jour où le sang avait coulé. Il incarnait mon rêve d'une progéniture d'esprits subtils dans des univertistés célèbres, d'érudits doués pour apprécier toutes les joues de l'existence. Comme mon bien-aimé Rocco, il apaiserait la douleur, panserait les blessures de mes journées interminables, de mon enfance pauvre, de ma jeunesse désespérée, de mon avenir compromis.


Éditions 10-18 - 185 pages