Résumé du Mahâbhârata

Le cœur de l'action est un conflit entre deux fratries de cousins, opposés pour la succession du trône des Kuru. Les uns sont les enfants de Pându, le Blanc, mort prématurément, et les autres de Dhritarâshtra, l'Aveugle. Ils sont respectivement les Pândava et les Kaurava. Du fait de son infirmité, Dhritarâshtra et ses cent fils ne devraient pas pouvoir prétendre au trône. Les Pândava sont au nombre de cinq, malgré la malédiction prononcée par un brâhmane à l'encontre de Pându : elle lui interdisait d'engendrer naturellement ses enfants sans mourir aussitôt. Pour enfanter, sa première épouse Kuntî avait utilisé un mantra pour solliciter le concours de divers dieux. Son fils aîné, le sage Yudhishthira, est le fils de Dharma. Le puissant Bhîma est le fils de Vâyu, le dieu du Vent et le grand archer Arjuna est le fils du royal Indra. La deuxième épouse de Pându, Mâdrî, utilise aussi le pouvoir de Kuntî pour obtenir deux fils jumeaux, les beaux Nakula et Sahadeva, issus des dieux jumeaux Ashvin. Ayant finalement succombé au plaisir avec Mâdrî, Pându meurt en laissant ses fils dans une situation délicate : le pouvoir est en théorie aux mains du roi aveugle Dhritarâshtra, mais celui-ci est manipulé par son fils Duryodhana, qui tente de faire disparaître ses cousins par tous les moyens.

Pendant leur enfance, ces personnages avaient appris l'art de la guerre avec Drona et les rivalités étaient déjà vives. Lors d'un concours où ces jeunes gens pouvaient s'affronter avec des armes, un jeune inconnu, Karna, s'était présenté et avait manifesté des aptitudes aussi impressionnantes que celles d'Arjuna. Étant d'une caste trop basse, on lui avait interdit de s'opposer en duel avec Arjuna, malgré la tentative de Duryodhana d'élever son statut en en faisant le roi des Anga. Dans l'assistance, ayant reconnu en Karna le fils qu'elle avait abandonné avant son mariage alors que, curieuse, elle avait testé son mantra avec Sûrya, le dieu Soleil, Kuntî était restée silencieuse. Celui qui devrait naturellement être le leader des Pândava, sera un allié indéfectible de Duryodhana.

Passés pour morts après une tentative d'assassinat par le feu dont ils ont réchappé, les Pândava se cachent. Pourtant, ils vont paraître au svayamvar de Draupadî. Théoriquement, un svayamvar vise à rassembler les prétendants au mariage pour que la jeune femme en âge de se marier choisisse son époux. En pratique, le roi Drupada décide que son futur gendre sera celui des prétendants qui réussira une épreuve digne d'un très grand archer ; il pense même que seul Arjuna, le gendre qu'il espère secrètement pour sa fille, en serait capable. Incognito, Arjuna participe au svayamvar et réussit l'épreuve. Le seul autre homme en mesure de passer l'épreuve, Karna, en avait préalablement été empêché, Draupadî l'ayant humilié en affirmant qu'elle ne se marierait pas avec le fils d'un cocher.

Quand Arjuna rentre auprès des siens, ignorant qu'il est accompagné d'une épouse, Kuntî demande à son fils de partager avec ses frères ce qu'il ramène. Elle scelle ainsi un quintuple mariage polyandrique. Draupadî aura un enfant de chacun de ses maris, ce sont les Draupadeya. Ses maris contracteront d'autres mariages ; Arjuna aura notamment un fils Abhimanyu avec Subhadrâ, la sœur de Krishna.

Après cette victoire des Pândava sur les Kaurava qui prétendaient aussi au mariage avec Draupadî, Dhritarâshtra décide de diviser le royaume des Kuru en deux. La capitale Hâstinapura et les meilleurs territoires reviennent aux Kaurava. Les Pândava acceptent la misérable part qu'on leur concède. Après de remarquables conquêtes, le royaume de Yudhishthira s'enrichit et est devenu tellement puissant que Yudhishthira peut préparer son râjasûya, un sacre universel. Il convie l'ensemble des souverains de la Terre à Indraprastha, sa capitale.

Après un incident au cours duquel Krishna a été contraint de dévoiler un peu de sa puissance divine en tuant Shishupâla en le décapitant avec son disque, la cérémonie a lieu dans un palais merveilleux construit par Maya, le démonique architecte. En sanskrit, mâyâ est aussi l'illusion, un des instruments des dieux pour détourner les humains d'une réalité divine insaisissable. Ce palais recèle ainsi des trésors d'illusions, comme des surfaces transparentes qui ressemblent à la surface d'un lac et réciproquement. Duryodhana s'y perd et tombe à l'eau ! Cet épisode exacerbe encore la rivalité entre les cousins.

Duryodhana invite Yudhishthira à Hâstinapura pour participer à une partie de dés. Il s'agit d'un piège. Il est connu que le point faible de Yudhishthira est son inclination sans limites pour ce jeu. Duryodhana le fait jouer contre Shakuni, son oncle maternel, dont on dit qu'il est un tricheur. Shakuni gagne à tous les coups. Yudhishthira perd ainsi toutes ses richesses au jeu, se perd lui-même ainsi que ses frères et perd même son épouse Draupadî. Elle résiste en faisant passer un message qui plonge les sages dans la perplexité : comment Yudhishthira pouvait-il faire d'elle l'enjeu d'un pari alors qu'il s'était déjà perdu lui-même ? Draupadî est humiliée : alors qu'elle était recluse dans les appartements des femmes pendant ses règles, un des frères de Duryodhana, Duhshâsana, la traîne de force à la cour. Il tente même de la dévêtir de force, mais au fur et à mesure qu'il tire sur le tissu, son sari se rallonge comme par enchantement : elle a prié pour que Krishna intervienne. Karna n'est pas le dernier à se moquer d'elle. On décide de convoquer une nouvelle partie de dés pour clarifier la situation. Yudhishthira perd à nouveau : avec ses frères, il devra passer douze ans dans la forêt et réussir à rester ensuite incognito pendant une année avant de retrouver son royaume, sinon il devra retourner dans la forêt.

Les Pândava et Draupadî s'exilent dans la forêt, malgré les protestations de Draupadî qui reproche à ses maris leur faiblesse. Douze années s'écoulent pendant lesquelles ils effectuent des pélerinages et rencontrent des sages. Un d'entre eux, Mârkandeya, leur raconte de nombreuses légendes parmi lesquelles l'histoire de Râma (septième avatâr de Vishnu). Arjuna s'absente pour obtenir des armes divines auprès d'Indra et de Shiva. De son séjour à Amarâvathî, la cité d'Indra, il repart avec une malédiction prononcée par une apsaras, une nymphe, qu'il a refusé de satisfaire : Arjuna perdra sa virilité pendant un an.

Cette malédiction fournit le déguisement d'Arjuna pendant l'année qu'il doit passer incognito. Il sera un professeur de danse efféminé à la cour du roi Virâta, le roi des poissons. Ses frères ainsi que Draupadî s'y rendent aussi et se font employer à divers titres. Yudhishthira est un brâhmane expert dans le jeu, Bhîma est cuisinier, Nakula et Sahadeva s'occuperont respectivement des chevaux et des bovins du roi. Draupadî est employée comme coiffeuse par la reine Sudeshnâ. Pour ne pas éveiller les soupçons sur leur identité, nos héros ne peuvent guère communiquer entre eux. Deux incidents vont mettre en péril leur incognito. Le lubrique Kîchaka se montre un peu trop insistant avec Draupadî ; Bhîma le tue d'une manière caractéristique du fils du Vent. À la fin de leur année d'exil, une expédition des Kaurava vole les vaches de Virâta qui est un de leurs ennemis. Arjuna abandonne son déguisement pour porter secours à son protecteur et gagne la bataille contre les Kaurava. Pour le remercier, Virâta lui donne sa fille Uttarâ en mariage, mais Arjuna en fait l'épouse de son fils Abhimanyu.

Les Pândava ont respecté leurs périodes d'exil et d'incognito. Duryodhana se montre inflexible : il refuse même lorsque Yudhishthira ne demande plus que cinq villages pour lui et ses frères. La guerre est inévitable. Krishna se rend néanmoins en ambassade chez les Kaurava. Duryodhana envisage de lui tendre une embuscade, mais Krishna répond en prenant sa forme divine universelle. L'assistance est subjuguée par la vision à la fois merveilleuse et terrifiante des trente Dieux, des armes et des autres créatures célestes émis par Krishna tandis qu'une pluie de fleurs tombe du ciel. Lors de cette ambassade, Krishna et Kuntî ont tenté de convaincre Karna de rejoindre le camp Pândava en lui disant que selon le dharma, il est l'aîné des fils de Pându. Karna refuse, par reconnaissance envers son ami Duryodhana. Il promet de ne tuer qu'Arjuna lors de la guerre. Ainsi, quoi qu'il arrive, Kuntî aura toujours cinq fils.

Dans les deux camps, on prépare la guerre. Les alliances se forment. Krishna prétend rester neutre. À Duryodhana et à Arjuna qui sont venus le trouver à son réveil, il donne le choix entre le don d'une de ses armées ou de lui-même, à condition qu'il ne participe pas directement au combat. Duryodhana prend l'armée et Arjuna fait de Krishna son cocher. (Dans l'iconographie hindoue, l'image la plus utilisée pour évoquer le Mahâbhârata est celle du char d'Arjuna conduit par Krishna.)

Les armées convergent vers le Kurukshetra qui sera le champ de bataille. Après des rites visant à s'attirer la bienveillance des divinités, le combat va pouvoir commencer, mais, au dernier moment, Arjuna hésite : il répugne à combattre ses cousins et à les tuer. Krishna intervient afin qu'il n'hésite plus à bander son arc. Il lui enseigne le Chant du Bienheureux, la Bhagavad-Gîtâ, dont voici quelques vers :

Ne te préoccupe que de l'acte, jamais de ses fruits. N'agis pas en vue du fruit de l'acte ; ne te laisse pas non plus séduire par l'inaction.
N'agis qu'en disciple fidèle du yoga, en dépouillant tout attachement, ô Dhananjaya (Arjuna), en restant indifférent au succès ou à l'insuccès : le yoga est indifférence.
Car l'acte, ô Dhananjaya, est inférieur infiniment au détachement intérieur : c'est dans la pensée qu'il faut chercher le refuge. Ils sont à plaindre ceux qui ont le fruit pour mobile.
(II, 47-49, traduction d'Émile Sénart, Les Belles Lettres)

Lors de cet enseignement, à la demande d'Arjuna, Krishna accepte de se révéler à ses yeux sous sa forme universelle, comme il l'a déjà fait lorsqu'il était menacé par Duryodhana. À la fin, Arjuna est décidé à combattre ses cousins. Toutefois, sur le champ de bataille, il lui arrivera encore de ne pas se livrer complètement. Krishna interviendra alors en faisant semblant de prendre lui-même les armes pour tuer ses ennemis : Arjuna sera obligé de reprendre le combat pour que la promesse de Krishna de rester neutre ne soit pas démentie.

La guerre va durer dix-huit jours. L'armée Kaurava a Bhîshma à sa tête. Ce grand guerrier est le grand-oncle des Kaurava et des Pândava, c'est un sage dont le cœur bat pour les Pândava, mais qui est dans le camp Kaurava par reconnaissance du ventre. En réalité, c'est un des dieux Vasu, qui suite à une faute ont été forcés de s'incarner sur terre comme fils de la rivière Gangâ et de Shântanu. Gangâ devait les noyer dès la naissance pour qu'ils retrouvent aussitôt les cieux, mais Bhîshma, le huitième fils avait été épargné pour que Shântanu ne fût pas privé de descendance. Ce père Shântanu s'était ensuite marié avec Satyavatî, la fille du roi des pêcheurs, à la condition que seuls les fils de cette dernière pussent lui succéder. Bhîshma avait alors renonçé définitivement à se marier. Par la suite, il avait enlevé la princesse Ambâ pour la donner à son frère Vicitravîrya. Déjà en amour avec un autre, elle avait refusé ce mariage, mais elle ne pouvait pas retourner chez son père après un tel déshonneur, la seule solution était qu'elle se marie avec Bhîshma. Celui-ci refusa de rompre son vœu et subit une malédiction d'Ambâ, qui s'est réincarnée en Shikhandin, un fils de Drupada. Bhîshma est invulnérable, à moins d'être attaqué par ce Shikhandin contre qui il refuse de lutter. C'est ce qu'il annonce au soir du neuvième jour aux Pândava venus lui demander cordialement comment le vaincre et éviter de nouveaux massacres inutiles. Le dixième jour, Bhîshma est vaincu par un Arjuna utilisant Shikhandin comme bouclier. À vrai dire, Bhîshma ne meurt pas aussitôt : il a le pouvoir de décider l'instant de sa mort. Arjuna lui confectionne un lit de flèches. Il y reposera quelque temps et après la guerre, il enseignera à Yudhishthira l'art de la royauté avant de retrouver les cieux.

Le nouveau chef de l'armée Kaurava est le brâhmane Drona. Celui qui fut le maître d'armes des cousins est un guerrier très habile. Le treizième jour, Drona dispose ses armées en formation circulaire. Rares sont les guerriers qui pourraient la percer. Arjuna étant occupé à d'autres combats, c'est son fils Abhimanyu qui s'élance. Il sait comment entrer dans cette formation guerrière, mais pas comment en sortir... Il provoque de lourdes pertes, mais, esseulé, il est tué par ses nombreux ennemis à la suite de terribles combats, où Jayadratha, détendeur d'armes divines, à joué un rôle décisif. Arjuna promet de le tuer le lendemain sans quoi il se suiciderait. Pendant la nuit, accompagné de Krishna, qui est Vishnu incarné, Arjuna se rend au séjour himalayen de Shiva. Ce dernier reconnaît le couple Nara-Nârâyana (associé à Vishnu) en Arjuna et en Krishna. Il donne à Arjuna l'arme divine Pâshupata qui l'aidera à vaincre Jayadratha. Le quatorzième jour, les Kaurava protègent ardemment Jayadratha afin de forcer Arjuna à se suicider s'ils parviennent à tenir jusqu'à la tombée de la nuit. Les combats font rage et Jayadratha n'est toujours pas mort alors que le jour touche à sa fin. Par sa mâyâ, Krishna couvre le champ de bataille d'obscurité. Les Kaurava et en particulier Jayadratha se pensent en sûreté, mais Krishna fait reparaître le jour pour qu'Arjuna puisse accomplir sa vengeance. La tête de Jayadratha retombe dans la forêt voisine où, en touchant le sol, elle fait éclater la tête de son père qui y vivait en ascète et qui n'a pu empêcher la tête de son fils de glisser de ses genoux où elle avait atterri : Krishna avait averti Arjuna de la malédiction qui frapperait celui qui ferait tomber la tête de Jayadratha. Après ces combats violents, les Pândava utilisent une ruse déloyale pour venir à bout de Drona. On lui annonce qu'Ashvatthâman, qui est le nom de son fils, est mort. Le mensonge sort de la bouche même de l'incarnation de Dharma : Yudhishthira. Pour que ce qu'il a annoncé à Drona soit rigoureusement exact, Bhîma a tué un éléphant du même nom. Affligé, Drona abandonne ses armes et son âme rejoint même le séjour de Brahmâ avant que Dhrishtadyumna, fils de Drupada, le décapite au soir du quinzième jour. Tuer Drona était la raison même de la naissance de Dhrishtadyumna, qui naquit en même temps que sa sœur Draupadî du feu d'un sacrifice célébré par Drupada en vue d'obtenir un fils capable de tuer Drona, qui était devenu son ennemi.

Le seizième jour, Karna est nommé chef des armées Kaurava par Duryodhana. Le lendemain, il annonce qu'il va affronter Arjuna. Son cocher, Shalya, l'accuse de se vanter et fait l'éloge d'Arjuna. Karna révèle deux malédictions. La première est celle de Râma Jâmadagnya (sixième avatâr de Vishnu) auprès de qui il avait obtenu une puissance arme divine. Il s'était pour cela fait passer pour un brâhmane, mais Râma Jâmadagnya s'en était aperçu : tandis qu'il était couché, la tête sur les genoux de Karna, un ver était entré dans la jambe de Karna et celui-ci avait stoïquement souffert le martyre pour ne pas réveiller son maître. Râma Jâmadagnya maudit celui qui ne pouvait pas être un brâhmane pour être capable d'endurer une telle douleur : le moment venu, il oublierait le mantra permettant d'invoquer l'arme. Une autre malédiction de brâhmane pèse sur le destin de Karna : pendant un combat, la roue de son char se bloquerait dans le sol au plus mauvais moment. Ces malédictions vont bien sûr se réaliser. Quand la roue du char de Karna s'enfonce dans la terre, il invoque le dharma, les règles de la guerre pour obtenir grâce, mais Krishna rappelle à Arjuna l'humiliation que Draupadî a subi pour renforcer son ardeur. Le combat reprend, les armes divines lancées par l'un sont annulées par celles de l'autre. Arjuna arrive à détruire l'emblème du char de Karna et le décapite d'une flèche anjalika. Avant cela, Bhîma s'était vengé de Duhshâsana en buvant le sang de celui qui avait tenté de dévêtir Draupadî.

Le dix-huitième et dernier jour de la guerre, Shalya est nommé chef. Il est tué par les Pândava, de même que Shakuni. L'armée Kaurava est anéantie. Duryodhana s'enfuit et trouve refuge dans une cavité de glace qu'il crée par magie dans un lac. Quand les Pândava le découvrent, Yudhishthira propose que le vainqueur de la guerre soit désigné à la suite d'un duel dont Duryodhana choisira l'adversaire et l'arme. Il défie Bhîma à la massue. L'issue du duel est incertaine. Krishna ne pense pas que Bhîma puisse gagner sans enfreindre les règles. Il suggère à Arjuna un coup interdit. Celui-ci fait signe à Bhîma de frapper les cuisses. Ainsi est vaincu Duryodhana.

La guerre étant terminée, Krishna demande à Arjuna de descendre de son char ; aussitôt, le char et les chevaux s'enflamment. Arjuna se prosterne devant Krishna dont le divin pouvoir avait protégé le char contre les armes divines jusqu'à cet instant.

Parmi les derniers survivants Kaurava, Ashvatthâman, le fils de Drona trouve Duryodhana qui agonise et il promet de massacrer tous ses ennemis pour venger son père. Quand Ashvatthâman entre de nuit dans le camp ennemi, c'est en fait Shiva le destructeur qui sacrifie la quasi-totalité des armées Pândava. Il ne reste guère plus que les cinq Pândava et Krishna. Avant de rejoindre le ciel, Duryodhana félicite Ashvatthâman pour ses faits d'armes.

Affligée par la mort de ses enfants, Draupadî demande vengeance. Bhîma, puis Arjuna et Yudhishthira, accompagnés de Krishna partent à sa poursuite. Un duel entre Ashvatthâman et Arjuna s'engage. Le fils de Drona lance l'arme divine suprême brahmâstra et Arjuna est contraint de riposter avec cette même arme que Drona lui avait enseignée. Les rishis Nârada et Vyâsa (de grands ascètes) interviennent pour déplorer l'utilisation de telles armes de destruction massive tandis que la terre tremble. Arjuna parvient à retirer son arme, mais Ashvatthâman en est incapable. Il ne peut que la détourner vers le sein des femmes du clan Pândava. L'enfant que porte Uttarâ, la veuve d'Abhimanyu, sera mort-né. Krishna promet de ranimer à sa naissance cet enfant qui est le dernier espoir de descendance pour les Pândava.

Tous convergent sur le champ de bataille et il est procédé aux funérailles des défunts combattants dont les cendres sont jetées dans la Gangâ. Kuntî choisit ce moment pour annoncer à ses fils que Karna était leur frère aîné, ce qui rend encore plus amère la victoire des Pândava.

Yudhishthira accepte la royauté et tandis que se prépare un sacrifice de cheval, Uttarâ met au monde Parikshit, qui est mort-né. Comme il l'avait promis, Krishna lui rend la vie. Pendant une année, Arjuna protège le cheval pendant son errance sur tous les territoires. Les rois des régions parcourues sont tenus de défier Arjuna au combat pour être vaincu par lui et être ainsi soumis par Yudhishthira. De retour à Hâstipanura, Arjuna est accueilli et le cheval sacrifié. Tous, y compris Draupadî, procèdent aux rites appropriés.

Le temps du départ est arrivé pour l'ancienne génération. Dhritharâshtra, son épouse Gândhârî et Kuntî s'en vont et se font ermites. Il finissent par mourir dans un feu de forêt.

Le monde est entré dans l'âge noir du Kaliyuga ; le rôle de Krishna dans la crise que constitue cette transition est presque terminé. Lors d'une célébration à Dvârakâ, les brins d'herbe du littoral cueillis par les hommes se transforment en massues de fer. La folie s'empare de ces hommes qui s'entretuent. Krishna massacre son propre peuple. Il se plonge ensuite dans le yoga en entrant dans une forêt. Alors qu'il est couché, un chasseur le confond avec une antilope et l'atteint à la plante du pied. Krishna rejoint la demeure céleste des Dieux.

Averti du désastre, Arjuna se rend à Dvârakâ pour sauver les femmes des assauts des brigands. Mais Arjuna n'a plus de force pour combattre : de nombreuses femmes sont enlevées. On y voit le signe que le temps est venu pour les Pândava de se faire renonçants. Après que Parikshit a été installé sur le trône de Hâstinapura, les cinq Pândava et leur épouse Draupadî prennent la direction de la forêt, puis du mont Meru, au Nord. Un chien les suit. Draupadî, Sahadeva, Nakula, Arjuna et Bhîma tombent successivement à terre au cours de l'ascension. Le dieu Indra paraît devant Yudhishthira et lui propose de monter dans son char. L'aîné des Pândava demande que ses frères et son épouse montent aussi au ciel ; Indra le rassure aussitôt à ce sujet. Yudhishthira s'inquiète aussi du sort du chien qui le suit fidèlement. Indra ne semble guère s'en préoccuper. Yudhishthira ne peut accepter de monter au ciel si le chien ne peut l'y accompagner. Il réussit ainsi brillamment l'épreuve ultime que son père, le dieu Dharma, lui fait passer. Le dieu abandonne son costume canin et le félicite.

Les Pândava ont gagné le ciel, mais leurs ennemis aussi puisqu'ils ont accompli leur dharma de guerriers kshatriya en mourant au combat.

Quelques commentaires

Un des intérêts de l'épopée est d'avoir un mode de narration très original. L'auteur légendaire du poème est Vyâsa. Il est lui-même un personnage de l'épopée. Si on remonte dans la généalogie de la dynastie dite lunaire, il apparaît comme le père biologique de Pându et de Dhritarâshtra, leur père officiel Vicitravîrya étant mort prématurément. Selon la légende, c'est le dieu à tête d'éléphant, Ganesha, qui écrivit le premier manuscrit sous la dictée du poète. Plusieurs narrateurs interviennent au cours du récit, se rappelant à notre bon souvenir. Lors d'un sacrifice des Kuru, Janamejaya, le fils de Parikshit, écoute le Mahâbhârata que récite Vaishampâyana qui tient le poème de son auteur Vyâsa. Janamejaya intervient régulièrement pour poser des questions auxquelles Vaishampâyana répond. Ce n'est pas le dernier niveau de narration : en fait, nous sommes dans la forêt Naimisha, au cours d'un sacrifice, le héraut Sauti annonce qu'il vient d'assister au sacrifice célébré par Janamejaya et il se met à réciter le Mahâbhârata.

La guerre est racontée par un narrateur omniscient. En effet, Vyâsa a donné au héraut Sanjaya un pouvoir de vision qui lui permet de rendre compte fidèlement des événements à son maître aveugle Dhritarâshtra (qui a refusé de recevoir lui-même ce pouvoir). Ainsi, pendant les longs chapitres de la guerre, aussi bien Dhritarâshtra que Janamejaya interviennent parfois pour demander des précisions.

Le résumé du Mahâbhârata fait ci-dessus ne donne qu'un aperçu de ses richesses. La plus grande ne réside pas dans le cœur de l'action, à savoir la grande guerre du Kurukshetra, mais dans toutes les histoires annexes qui sont intégrées au récit. Parfois, elles concernent les personnages eux-mêmes et rendent compte de malédictions anciennes qui en font des personnages tragiques, dont le sort est connu bien à l'avance, mais bien sûr pas sous tous les angles. Souvent, ce sont des légendes qui peuvent servir d'exemples de conduite aux héros. Une des plus remarquables de ces histoires est celle de Nala et Damayantî, un merveilleux conte qu'un sage vient raconter aux Pândava pendant leur exil dans la forêt. Le Mahâbhârata contient même une version de la légende de Râma, une épopée à l'intérieur de l'épopée.

Des mythes plus anciens sont racontés, où les acteurs ne sont pas des hommes mais des dieux. On y trouve par exemple le mythe du barratage de la mer de lait, les luttes entre dieux et démons (asura) pour l'amrita (une sorte d'ambroisie). Les dieux ont bien d'autres façons d'être présents dans l'épopée. Certes, les Pândava sont des fils de dieux, Bhîshma est un dieu lui-même, Vishnu s'est même incarné en Krishna, mais l'épopée met aussi en scène des rencontres entre Arjuna et Indra, Arjuna et Shiva, plusieurs rencontres-épreuves Yudhishthira-Dharma, une rencontre Bhîma-Hanumân, etc. Quand un personnage intervient, il est souvent fait allusion aux qualités particulières que lui confèrent ses origines divines.

Dans le Râmâyana, on distingue très nettement un camp du Bien et un camp du Mal. Loin de ce manichéisme, si les Pândava représentent le camp du dharma et les Kaurava celui de l'adharma, plutôt que le noir et le blanc, on découvre dans le Mahâbhârata les nuances de gris. Dans le camp des méchants, si les défauts de Dushâsana ou des Shakuni ne sont guère compensées par des qualités, les personnages plus importants de Karna et de Duryodhana sont plus équilibrés. Dans le camp des gentils, aucun personnage n'est parfaitement bon. Si Yudhishthira est Dharma incarné, on le voit épris du démon du jeu et capable de mentir. Même Krishna, qui est l'incarnation de Vishnu et que certains considèrent comme le dieu unique commet des actes très discutables. Il prétend rester neutre pendant la guerre, mais en réalité, il ne cesse d'influencer les Pândava afin qu'ils réalisent leur destin, quitte à ne respecter le dharma que lorsque cela l'arrange. On le voit ainsi suggérer un coup interdit lors du duel Bhîma-Duryodhana. Il va même jusqu'à massacrer son propre peuple. Bref, on est très loin de l'enchanteur joueur de flûte ou de l'espiègle enfant qui défiait le dieu Indra ! Un ami indien me suggère que si Krishna agit avec une telle duplicité, c'est pour nous montrer comment nous comporter pendant l'âge noir du Kaliyuga.

Quelques versions du Mahâbhârata

J'ai découvert cette épopée dans la version de l'indianiste Madeleine Biardeau, Le Mahabharata, un récit fondateur du brahmanisme et son interprétation, deux volumes, Seuil, environ 2000 pages. Il ne s'agit pas d'une traduction intégrale de l'épopée, mais une réécriture sous une forme abrégée, agrémentée de commentaires. Malgré cela, cette version est proche du texte initial et la typographie indique la correspondance entre le texte français et les chapitres de l'épopée sanskrite qui lui correspondent. Les cent soixante premières pages constituent une introduction très aride, mais il ne faut pas se décourager : le texte devient d'accès plus facile dès que la narration proprement dite commence. Le deuxième volume comporte un index des principaux personnages et un arbre généalogique.

Dans les années 1980, Jean-Claude Carrière et Peter Brook ont entrepris de créer une pièce de théâtre, ou plutôt trois en une : La partie de dés, L'exil dans la forêt et La Guerre, sur le thème du Mahâbhârata. La création eut lieu en juillet 1985 au festival d'Avignon. Le texte de la pièce, d'abord paru en trois volumes, a été réédité cette année : Le Mahabharata, Albin Michel. Jean-Claude Carrière a adapté son texte pour en faire un roman : Le Mahabharata, Belfond ou Pocket, 316 pages. Je n'ai pas grand'chose à dire si ce n'est que ces versions sont hautement recommandables. La genèse de cette entreprise artistique est évoquée dans les introductions des livres que j'ai mentionnés. On peut la lire en train de se faire dans À la recherche du Mahâbhârata, carnets de voyages en Inde avec Peter Brook 1982-1985, Jean-Claude Carrière, Éditions Kwok On ; ce livre est agrémenté de quelques dessins de l'auteur. Plus tard, Peter Brook réalisera une version filmée de ce travail. Elle sera diffusée sous forme d'une série de six épisodes de 55 minutes et sortira aussi au cinéma dans une version raccourcie de trois heures. Pour avoir en DVD la version de trois heures, je peux dire que les épisodes qui y sont montrés sont très respectueux de l'esprit de l'épopée et qu'ils constituent un travail vraiment remarquable. Toutefois, pour obtenir un film de trois heures, de grosses coupes ont été faites : la chaîne des événements est brisée plusieurs fois, ce qui doit beaucoup nuire à la compréhension de l'œuvre si on ne la connait pas déjà. Je présume que ce problème ne se pose pas avec la version télévisée en six épisodes, également disponible en DVD. Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne ont aussi écrit sur un épisode plus particulier de l'épopée : La Mort de Krishna (Actes Sud-Papiers, 29 pages), ce qui donnera aussi naissance à un spectacle mis en scène par Peter Brook en 2002.

Dans un genre satirique, on peut lire Le grand roman indien de Shashi Tharoor (Seuil). Voici ce que j'écrivais à son sujet sur mon blog après l'avoir lu : Il faut imaginer l'épopée du Mahabharata transposée dans l'Inde du vingtième siècle, à moins que ce ne soit l'inverse. On y trouve les personnages historiques de la période de la lutte pour l'indépendance de l'Inde, sa partition, et les aléas du pouvoir jusque vers le début des années 1980. Les noms des personnages sont tirés de l'épopée. Jawaharlal Nehru est Dhritarâshtra, Gandhi est Bhîshma (un des fils de la déesse Ganga, appelé ici Gangaji). La fratrie de Duryodhana est remplacée par la seule Priya Duryodhani (Indira Gandhi). La grande bataille du Kurukshetra est l'élection de 1977 où elle fut battue. De nombreuses libertés sont prises, à la fois avec l'épopée, et avec l'histoire. C'est ce que je trouve toujours ennuyeux avec les romans historiques, c'est qu'on ne peut pas toujours bien distinguer l'Histoire des faits imaginés par l'auteur. C'est un bon roman, plein d'humour, mais qui n'est sans doute vraiment intéressant à lire que si on connaît déjà l'histoire du Mahabharata..

Enfin, le Mahâbhârata est une des œuvres de la littérature universelle que Georges Dumézil considère dans Mythe et épopée (Quarto Gallimard) ; il en fait d'ailleurs un résumé. Je n'ai pour le moment lu que le premier volume : L'idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens. Il se penche notamment sur le quintuple mariage de Draupadî et y voit une illustration de sa théorie des trois fonctions dans les peuples indo-européens.

Joël

Extrait :

Un jour, j'errais à l'aventure pour tirer des flèches avec mon arc Vijaya. Lançant sans le savoir des flèches redoutables, par manque d'attention, je frappai le veau de la vache à oblations (d'un brâhmane) d'une flèche, alors qu'il allait au hasard dans cet endroit désert. Alors le brâhmane proféra contre moi ces paroles : Puisque tu as, par manque d'attention, tué le veau de ma vache à oblations, que la roue de ton char tombe dans un trou quand tu livreras bataille et que tu seras en proie à une peur panique. Je redoute ces paroles proférées par un puissant brâhmane. Les rois de la lignée lunaire sont maîtres du bonheur et du malheur. J'ai donné au brâhmane mille vaches et six cents bœufs. Mais je n'obtins pas la grâce du brâhmane. Lorsque je lui offris sept cents éléphants à longues défenses et des centaines d'esclaves, hommes et femmes, il ne me fit pas grâce. Je lui offris encore quatorze mille vaches noires avec des veaux blancs, je n'obtins pas sa grâce. Je voulus lui donner une maison opulente avec toutes sortes de choses désirables et toutes la richesse qu'il voudrait. Il refusa encore et me dit que les paroles qu'il avait proférées devraient produire leur effet et qu'il ne pouvait en être autrement. Un mensonge peut tuer les créatures et ce serait pour lui un péché. Il ne pouvait donc pas, s'il voulait observer son devoir, proférer un mensonge. Il ajouta que je ne devais plus faire de mal à ce qui était le moyen d'existence d'un brâhmane, et que ce serait ma pénitence.
(traduction de Madeleine Biardeau, Seuil)