Ces soixante-treize textes très courts - maximum deux pages et demi et minimum trois ou quatre paragraphes - sont un véritable concentré de vie moderne. L'auteur y aborde sans retenue les bons et les mauvais côtés, les faiblesses, les mesquineries, les petitesses, les forces des êtres humains, les amours flamboyants, les travers des uns et des unes, le sexe, les sentiments de solitude et de désespérance ressentis lors d'une séparation voulue ou subie. Dans un style, sans fioritures, souvent parlé - c'est comme si vous aviez l'intéressé(e) devant vous à vous raconter ses joies et malheurs -, David Thomas n'en oublie pas la tendresse, la compassion légèrement teintée de mélancolie mais manie aussi avec virtuosité un humour parfois bravache et percutant.

Je ne vais pas vous parler dans le détail de chacun des textes mais j'ai vraiment savouré la suite de Surprise (Surprise, Surprise 2 et Surprise 3). On vous raconte comme une scène de film (l'auteur a également écrit une pièce de théâtre et des dialogues de films) le retour chez lui - un peu trop tôt - d'un homme et qui retrouve un autre homme dans son lit avec sa femme. Une scène banale de flagrant délit d'adultère me direz-vous ? Certes mais viennent dans les deux textes suivants, les points de vue des deux autres protagonistes. J'ai adoré les divergences de point de vue et surtout comment les intéressés racontaient l’événement pour tous, ne pas perdre la face. Un joli, court mais percutant traité de petites compromissions avec la vérité. A la lecture, c'est du bonheur pur tant c'est juste, précis, ironique à souhait.

Dans Bande de cons, nous suivons l'interview d'un jeune écrivain prétentieux, que l'on aurait envie de piler tant il est fat. Il est interrogé par un journaliste qui semble suivre une grille de questions - le timing à respecter sûrement, faut faire court - sur son dernier roman qui ne compte qu'une seule phrase. On dépasse les limites de la prouesse littéraire. Je vous garantis que vous éclaterez de rire dans votre coin tant c'est criant de vérité lorsque l'on a déjà écouté quelques auteurs et journalistes.

Mais la vie, ce n'est pas faite que de trahisons, de petites lâchetés. C'est aussi des souvenirs, de la tendresse, des amours naissants et/ou perdus. On voit avec la nouvelle titre, dans Qui mène la danse que l'être humain ne maîtrise pas tout. On peut se poser quelques questions :

Je me demande souvent qui mène la danse. Si c'est ma vie qui fait de moi ce que je suis ou si c'est moi qui fait de ma vie ce qu'elle est. Mieux qu'un sujet de philo. Comme le constate un des personnages, la vie n'est pas du tout comme on nous l'avait décrite dans les livres d'enfants.

Et puis il y a les peines et les souffrances. Car Nous savons que rien de ce qui blesse vraiment ne cicatrise jamais et que nous sommes régulièrement rappelés à nos douleurs. Ou bien la solitude (Je n'en ai jamais parlé à personne), cette chose qui fait que parfois les larmes ne me montent jamais aux yeux, et pourtant j'ai l'impression d'avoir de la buée sous les paupières. A chaque fois, je crois que ça va déborder et rien ne se passe. Ce n'est pas de la tristesse. C'est mieux. C'est pire. Enfin, c'est moins envahissant mais beaucoup plus profond. Enfoui." Cette chose, "que seul le silence peut apprivoiser..

Des ouvrages comme ce recueil, il faudrait en prescrire très souvent. C'est d'une efficacité re-dou-ta-ble contre la morosité ambiante ! Le seul souci, c'est qu'ils sont généralement trop courts, vraiment beaucoup trop courts. Mais finalement, c'est pour cela que c'est un pur délice !!

Du même auteur :Je n'ai pas fini de regarder le monde, Un silence de clairière

Dédale

Extrait :

Arnaque

Vous, les écrivains, vous êtes une belle bande d'arnaqueurs. Ah ça, tu m'as bien embobinée avec tes bouquins. Ah ça, pour écrire des jolies choses t'est le premier, mais pour les vivre, y a plus personne. Ça oui, pour faire des jolies phrases t'est en tête de peloton, je reconnais que t'es bien placé, mais pour ce qui est du quotidien,permets-moi de te dire que t'es franchement à la traîne. T'es même carrément nul. Faut pas croire tout ce qu'il écrit, madame, croyez-moi, je vis avec lui, faut pas croire UN mot de ce qu'il écrit. Ce type-là n'a jamais foutu les pieds sur les îles Sakhaline, ni au Japon, ni à Caracas, c'est un pantouflard, un vrai, pour partir en vacances trois jours, faut négocier deux mois. Les armes à feu, il connaît pas, si ses personnages savent les démonter dans le noir, lui il n'en a jamais vu, ce serait même du genre à se tirer une balle dans le pied avec. Quand à ses héros capables de fabriquer des centrales nucléaires avec une capsule de Sprite et deux bouts de fils de fer, là aussi c'est de la flûte, il sait rien faire de ses dix doigts, lui mettez pas un casse-noix entre les mains, il serait foutu de se pincer. Et les sentiments, Ah ! T'en a fait, soupirer des femmes avec tes pages écrites bien comme il faut, ah oui, les lectrices, tu sais aller les chercher, tu sais les cueillir, mais moi je peux me brosser ! Bon et puis les scènes d'amour, je préfère pas m'étendre, je voudrais pas blesser. Non, non, un vrai tocard, je vous dis. De la pure arnaque.

Douleur

Vous n'avez jamais pu la nommer et pourtant, vous vous êtes fait à se présence. C'est à elle que vous devez vos insomnies et vous avez fini par accepter cette difficulté à dormir paisiblement, comme on s'arrange avec les défauts de la femme que l'on aime. Si votre moral vous échappe, vous ne cherchez plus à savoir pourquoi, vous savez que votre abattement se dissipera. Sans avoir à lutter, vous sentez que tôt ou tard, votre énergie et votre courage parviendront à avoir le dessus. Vous êtes solide. On dit de vous que vous êtes fort, que vous avez une capacité à encaisser exceptionnelle. Vous accrochez votre sourire. Vous ne vous plaignez jamais. Vous gardez vos faiblesses pour vous. Oui, oui, vous allez bien. Toujours bien. Vous savez que seuls les plus combatifs se réalisent pleinement, que le bonheur se construit, lentement, et vous êtes convaincu de l'édifier. D'être sur la bonne voie. Vous êtes sûr de vous, vous ne doutez pas de vos plans. C'est une question de temps. Vous connaissez mieux que quiconque le sens de la patience.
Vous ne craignez pas votre douleur parce que vous n'avez pas conscience de sa puissance.


Bernard Pascuito Éditeur - 151 pages