Eté 1944, Luc est poète, ancien soldat durant la bataille de France. Il vit seul dans sa maison isolée du village. Il vit presque reclus, éloigné des fureurs du monde pour que ses mots, ses textes ne soient pas « influencés » par les nouvelles qui arrivent et dont il a connaissance quand il descend au village.

Pendant longtemps le choix s'était fait sans mal. Cela ne veut pas dire qu'il n'y eût pas souvent une offensive d'idées tracassantes. Quelquefois la frontière était assez difficile à délimiter entre les deux domaines. Le langage déborde largement sur les affaires humaines, et réciproquement. Faire semblant de l'ignorer serait pure absurdité. De sorte qu'on se trouvait mainte fois en danger de s'engager imprudemment.

Pour Luc, s'engager veut dire : écrire. Aucun pouvoir ne peut détruire le fonctionnement de la pensée.

Un jour pourtant tout bascule. Quand Luc entend les moteurs d'une colonne allemande se dirigeant vers le village et l'encercler, il a juste le temps de se cacher derrière une pile de bois. De là, il assiste impuissant massacre d'Oradour-sur-Glane tandis qu'un officier allemand peint la beauté du paysage. Quand les cris se sont tus, que les fumées du village en feu montent dans le bleu de l'azur, l'officier est heureux : ... aujourd'hui, dit-il, j'ai enrichi l'humanité d'une beauté nouvelle. Le reste est silence.

Le silence n'existera plus pour Luc. Plus tard, en tentant de reconnaître les corps calcinés, il entendra pour longtemps les cris de douleur, de peur, les pleurs, la fureur des balles, des incendies, les bruits de la barbarie.

Vercors s'interroge et nous donne à réfléchir. Peut-on comprendre comment un artiste, un poète peut rester indifférent devant le massacre de ses semblables ? Peut-on toujours rester « au-dessus de la mélée » ? Face à de tels actes, les mots, l'art, la littérature ou toute autre oeuvre artistique ne peuvent plus être les mêmes. Qu'est-ce que l'engagement des artistes ?

Des mots, des questions toujours d'actualité que l'on devrait lire et donner à lire à l'école.

Dédale

Extrait :

...
Sourires des fruits des mousses
du tendre bruit de la soie
Sourires blonds invisibles
de tant d'indicibles dons
Sourires de nos pardons
jardins des âmes sensibles
Tremblants sourires d'alarme
dans les larmes de l'amour
Sourires profonds sans armes
sourires du fond des jours
Sourire au bord des années
douceurs pures et ornées
prenant la forme du coeur
Sourires des routes folles
enlaçant le sol vainqueur
de tant de sourdes corolles
Sourires enfin sourires
doucement purs sans limites
que tant de lèvres imitent
on vous a tués

Tordus Effacés Rompus
Il a suffi d'un sourire
sur un visage de chair
un sourire un seul sourires
un gai sourire de chair
de ceux que le codeur attend
de ceux que le codeur entend
un sourire qui prétend
que tous les hommes sont frères

Il adressait ce sourire
à des enfants à leurs mères
et c'était leur bourreau.


Éditions Actes Sud - 44 pages