Qu'on se le dise, Valantin est un ado comme tous les autres : il trouve ses parents sont trop empêtrés dans leurs problèmes d'adultes et ne supporte pas qu'ils lui interdisent de fermer sa chambre à clé. Avec les copains, Valantin parle de leurs corps qui changent, de leurs désirs naissants, des filles aussi, évidemment... Mais jamais de façon trop directe : entre garçons on biaise, on vanne, on prêche le faux pour connaître le vrai, et du coup Valantin regrette de ne pas avancer "toujours aussi vite qu' [il] le voudrait". Plongé dans la tête du jeune narrateur, le lecteur suit les méandres de sa pensée de ce dernier : entre deux masturbations, Valantin s'interroge sur sa vie actuelle, son rapport aux autres, sa dépendance à la jouissance. Est-ce normal de passer son temps libre à se caresser ? Est-il déséquilibré ? Valantin s'exprime dans un langage direct et sans faux semblant. Ainsi, il a surnommé son sexe sa bouteille de pepsi et les descriptions, tout en restant la plupart du temps poétiques, sont on ne peut plus suggestives :

Quand ma gentille est au sommet et moi au top, je la traite de tous les noms. Ceux qui me passe par la tête. En même temps, des images m'envahissent, un cinéma; une fille me chuchote ou me crie des paroles cochonnes en me mordant l'oreille. Aïe aïe aïe, pour le moment, c'est dur et tendu, mon laser en piste, wuoaououh ! T'y peux rien. C'est la vie qui pulse, c'est le printemps à l'automne, c'est le torrent à l'envers, c'est les arbres qui bourgeonnent sous la neige. T'es un chevalier indomptable sur son cheval lancé au galop sur des chemins qui n'en finissent pas de grimper vers le septième ciel. C'est le sang qui bat, qui inonde, qui emplit, qui roule comme un grand fleuve. Ça durcit, ça gonfle, ça s'étire.

C'est un sacré pari qu'à pris ici Adeline Yzac, mais un pari réussi. Au-delà du côté sans doute un peu provoquant pour un roman jeunesse (mais soyons clairs, il choquera sûrement plus les adultes bien pensants que les adolescents eux-mêmes), l'auteur propose une réflexion intelligente sur ce passage de l'enfance à l'âge adulte. En quelques pages seulement, pendant les quelques heures du déroulement de l'intrigue, Valantin passe le gué grâce à une improbable paire de ciseaux rouges.

Ce court roman permettra aux garçons en pleine puberté d'assumer sans complexes des plaisirs solitaires tout à fait normaux. Mais il devrait également émoustiller leurs alter-ego féminines et leur proposer un autre regard sur ces garçons qu'elles ont parfois tant de mal à comprendre.

Voir l'avis de Clarabel

Du même auteur : Très vieux monsieur, Les trois rives du fleuve

Laurence

Extrait :

Les mecs, on bavarde pas entre nous. Pas de façon directe, en tout cas. Avec Paolo et Félix, on se lance des vannes pour dire sans dire. On s'envoie de grosses blagues, c'est ça. On fait des insinuations. On est les champions des allusions. On se tape des fous rires. On chahute. On se la joue. Fortiche ou pudique. On se laisse croire des trucs. On se lance des appels du pied. On s'amuse. On fanfaronne. On y va avec de bons mots bien à nous.
C'est comme ça que j'essaie d'en savoir un peu plus et même le plus possible, je vois où sont les potes et ça me permet de repérer où j'en suis, sans me compromettre, en lisant entre les lignes. C'est excitant et inquiétant, un bon panaché.
Pas plus.
Y a des frontières à pas franchir. Parler franco, non. Ça le ferait pas.


Éditions du Rouergue -  111 pages