D'entrée de jeu, Judd nous prévient : il racontera ce qu'il sait et ce qu'il s'imagine savoir des autres membres de sa famille. D'entrée de jeu donc, est posé ce qui dans la narration de ce bouquin pose problème : il est impossible qu'un frère connaisse les pensées intimes des autres membres de sa fratrie et pourtant la narration ne cesse de glisser pour devenir omnisciente.

Sinon, il y a dans ce récit de très beaux portraits de personnages: très crédibles, très humains, très attachants. Chacun a ses forces et ses faiblesses, ses zones d'ombre. Et tout cela est d'une justesse et d'une crédibilité incroyable. Jusqu'à la révélation de « l'événement » le lecteur est tenu en haleine, par la suite, le lecteur suit aussi l'auteur avec plaisir - mais angoisse - dans la déroute de cette famille. Malheureusement, le récit finit par s'étirer et il y a facilement, à mes yeux, 200 pages de trop dans ce récit qui, vers la fin, perd de son mordant.

J'ajouterais que la traduction m'a fait grincé des dents! Par exemple, les enfants Mulvaney ont tous des surnoms. La jeune fille se fait surnommer Button... et le traducteur a décidé qu'on dirait Bouton. Alors il est régulièrement question de Bouton Mulvaney ! Pourquoi ne pas avoir gardé Button avec ce son très américain qui nous renvoie clairement vers la campagne américaine ? Dommage !

Du même auteur : Nulle et Grande Gueule

Catherine

Extrait :

Longtemps vous nous avez enviés, puis vous nous avez plaints.

Longtemps vous nous avez admirés, puis vous avez pensé Tant mieux !... ils n'ont que ce qu'ils méritent.

« Trop brutal, Judd ! » dirait ma mère, gênée, en se tordant les mains. Mais j'estime qu'il faut dire la vérité, même si elle fait mal. Surtout si elle fait mal.

Toute mon enfance, j'ai été le bébé de la famille Mulvaney. Dans une famille pareille, c'est se savoir le dernier fourgon d'un long train rugissant. Ils m'aimaient si fort, quand ils consentaient à faire attention à moi, que j'étais comme ébloui par une lumière intense, incandescente, qui pouvait s'éteindre soudainement et me laisser dans les ténèbres. J'avais du mal à déterminer qui j'étais, si j'avais un nom ou plusieurs, tous affectueux et souvent moqueurs, comme « Fossette », « Mon-Joli », « Grognon », ou encore « Ranger » - mon préféré. Petit, j'ai surtout été « Bébé » ou « Gamin ». « Judd » supposait un certain degré de sévérité et de sérieux, quoique les enfants Mulvaney fussent rarement réprimandés et encore plus rarement punis. Quant à « Judson Andrew », mon nom de baptême, il faisait si digne, si ambitieux, que je n'ai jamais eu le sentiment qu'il pouvait être le mien, plutôt une sorte d'emprunt, comme un masque de Halloween.


Éditions Stock - 737 pages