Ce roman semble avant tout à considérer comme un divertissement, amusant et drôle. Plusieurs ingrédients y concourrent. Le principal est la philosophie de Kant. Sans elle, il n'y aurait pas eu de roman. Le lecteur ayant quelque souvenir de ses cours de philosophie verra reparaître quelques éléments de la philosophie morale de Kant, comme Agis selon la maxime qui peut en même temps se transformer en loi universelle (on comprend la difficulté qu'il y a à édicter une règle universelle concernant le problème soumis ci-dessus à Botul), ou encore la notion de noumène, la chose en soi, inaccessible aux sens. Ces références et allusions sont souvent faites avec humour. La notion de synthèse donne ainsi lieu à un comique de répétition avec la construction de mots-chimères comme laivin, la boisson officielle de Nueva Königsberg : une synthèse entre le lait et le vin.

Quelqu'agrément trouve aussi sa source dans la passion de Sébastien Marot pour le cinéma. Une des premières choses qu'il lui vient à l'idée de faire quand il arrive à Nueva Königsberg est de rédiger des scénarios de saynètes dans le genre de la slapstick comedy (Laurel et Hardy, Charlot, etc.). Les références aux films et à la technique cinématographique sont présentes tout au long du roman, et elles sont toujours écrites de manière légère et distrayante pour le lecteur.

En résumé, dans ce roman, tout est prétexte à faire des plaisanteries. À commencer par le sujet-même du roman !
Pour ceux qui l'ignorerait, Jean-Baptiste Botul est une invention née de l'esprit farceur de Frédéric Pagès, agrégé de philosophie et ancien journaliste au Canard Enchaîné. Pour que son canular puisse fonctionner, il a donné à son personnage une biographie nébuleuse : ainsi, si l'on ne disposerait aujourd'hui d'aucun écrit de Monsieur Botul, c'est que ce dernier aurait été un fervent partisan de la tradition orale (très commode, vous avouerez, pour justifier l'inexistence des travaux du dit philosophe). Afin que le mythe s'étoffe, Frédéric Pagès a poussé la malice jusqu'à créer une association dédiée au philosophe fictif. Association qui a retrouvé, par le plus grand des hasards (mais le hasard, quand il est aidé, fait souvent bien les choses ;)) des enregistrements des allocutions de Jean-Baptiste Botul, publiée aujourd'hui aux Éditions des Mille et une nuits. Métaphysique du mou, Nietzsche ou le démon de midi, Landru, Précurseur du Féminisme : la correspondance inédite ou encore La vie sexuelle d'Emmanuel Kant ne sont donc qu'une vaste plaisanterie, écrites en réalité par l'initiateur de cette supercherie, Monsieur Frédéric Pagès. À la lumière de ces renseignements, l'avertissement de Paul Vacca sonne donc comme une plaisanterie de plus dans cette mystification entretenue depuis des années :

L'histoire que vous vous apprêtez à lire n'est que « vésanie », « raison déraisonnante », à savoir « fiction ».

À n'en pas douter, avec ce roman, Paul Vacca ajoute une pierre de plus à l'édifice fictif initié par Frédéric Pagès, et qui sait si d'ici quelques années, certains n'affirmeront pas haut et fort que Monsieur Jean-Baptiste Botul fut un être de chair et de sang ? Pourtant, le nom du philosophe en lui-même (du latin botulus, « boudin ») devrait éveiller les soupçons... L'idée de Paul Vacca est en tout cas pour le moins séduisante et facécieuse.

Ce roman est très différent du premier roman de l'auteur, La petite cloche au son grèle, qui a remporté cette année le Prix Biblioblog 2009 et avait séduit l'ensemble du jury. En fait, en parlant de Nueva Königsberg, on pourrait faire un dernier parallèle avec le Candide de Voltaire, tant Botul nous fait penser à Pangloss et Sébastien au jeune héros du conte philosophique du XVIIIe siècle. Si l'on osait, on pourrait même dire que la jeune Sofia est une Cunéguonde réincarnée. Mais si Voltaire alliait le style incisif à la dénonciation virulente, Paul Vacca ne propose ici qu'une farce rafraîchissante, une friandise agréable mais qui manque un peu de consistance. Quant à la fin, elle est un peu décevante, un pied de nez un brin facile qui laisse en bouche un goût d'inachevé.

Retrouvez sur Biblioblog l'interview que Paul Vacca nous a accordée.

Voir aussi les avis très enthousiastes de Lily, Amanda, Florinette, Cathe, Cathulu, Keisha, Bellesahi Sylire et Aifelle

Joël et Laurence

Extrait :

Tout à coup, dans ce vert paradis, Sébastien fut atteint dans le dos par des projectiles. Il avisa alors un groupe de trois enfants qui, tout sourires, lui lançaient de petits cailloux.
Il saisit l'un des enfants par le bras et l'admonesta.
— Veux-tu bien arrêter ! Tu ne dois pas faire cela, ce n'est pas bien.
Les enfants le regardèrent, éberlués.
Sébastien déclina son prêchi-prêcha en plusieurs langues pour être sûr de bien se faire comprendre.
Toujours le même regard vide.
Et les enfatns reprirent leur activité de plus belle.
C'est alors qu'une jeune femme arriva, portant collerette, fichu et tablier, comme toutes les femmes de Nueva Königsberg.
— Bonjour, je suis Sofia, la maîtresse d'école.
— Bonjour. Vous tombez à point nommé !
Et, soulagé de la voir, il lui expliqua ce qui s'était passé.
Les traits de la jeune femme ne trahirent aucune émotion particulière. Elle passa sa main dans les cheveux des têtes blondes et les laissa filer.
En revanche, elle prit Sébastien à partie comme si c'était lui le garnement, et lui fit une remontrance structurée en trois points :
1/ Il avait employé la forme négative. Était-ce selon lui la meilleure façon de faire entendre raison à un enfant ?
2/ Il avait fait usage d'un argument hypothétique : en quoi le fait de lancer des cailloux est-il absolument et universellememt répréhensible ? Ne l'avait-il jamais fait lui-même dans une rivière sans qu'on y trouve rien à redire ?
(Sébastien aurait bien voulu répondre aux questions. Mais ce jeu n'appelait aucune réponse.)
Et 3/ La finalité de l'acte des enfants était pure. Ils n'avaient aucunement l'intention de lui faire du mal — quel indice lui permettait de soupçonner cela ? Ils voulaient juste partager un moment de convivialité et peut-être l'intégrer parmi les leurs...

Nueva Königsberg
Éditions Philippe Rey - 210 pages.