Difficile d’avoir peur de perdre quand on n’a jamais eu. On ne peut qu’avoir peur d’avoir et s’en libérer par le choix de perdre, de quitter, de partir avant de posséder.

Récit picaresque s’il en est, roman initiatique à la quête inversée, Combat de l’amour et de la faim prend la forme d’une ode au manque, d’une apologie de l’attente imposée qui rend l’ appétence torture, et la torture, jouissance.
Dans ce creux ouvert par l’appétit, le vide s’installe, vorace, les faims se mêlent et se confondent avec le désir et l’oubli du désir.

De la faim naturelle à la faim des peaux, des corps, d’un amour que l’on n’atteint pas, en passant par la faim de reconnaissance, ou encore d’argent qui « glisse entre les doigts », le ventre, organe matriciel autant que passionnel, devient le théâtre de ces variations sur le thème du désir et de la fringale.
Sur fond d’errance immobile, de vagabondages nauséeux et d’éternel retour au même, le dernier roman de Stéphanie Hochet se fait le récit d’une fuite en avant, d’une course effrénée jusqu’à l’épuisement, jusqu’à cet instant où, interdisant le but, l’insatiable passé rejoint un présent affamé.

Lire le dossier et l'interview de Stéphanie Hochet sur le site d'Améléia

Du même auteur : Sang d'encre

Améléia et Sigrid

Extrait :

 […] Tout mon corps était agité de tremblements. Je devais agir. Une seule idée me vint à l’esprit. Demander l’arbitrage du révérend. Un homme sévère mais bon ne pouvait pas condamner mes sentiments purs. Et puis, il y avait la contrition qui sauve. Le dimanche suivant, après l’office, j’allai frapper à la porte de son bureau. Une voix grave me dit d’entrer. Je lâchai ma phrase d’introduction répétée :
Je dois vous parler à cœur ouvert.
Les gros yeux bleus se fixèrent sur moi.
Quelque chose me retenait.
- Parle, dit Splutter.
- L’autre jour j’étais assis sur le canapé près de Heather et vous avez vu comme j’étais gêné quand vous êtes entré. J’ai eu tort. Je n’avais aucune mauvaise intention. Mes pensées et mes actes sont chastes. J’aime Heather. Je n’ai jamais touché un seul de ses cheveux. Vous pouvez m’en croire et vous pouvez lui demander. Je n’ai aucun doute qu’elle est la femme de ma vie. Elle n’a que 12 ans et moi 13 mais je saurai attendre. Je vous demanderai sa main à sa majorité.
J’avais parlé d’une traite. Quand ce fut fini, le silence me terrorisa. Le pasteur classa nerveusement quelques feuilles. J’observai dans une sorte d’hypnose la lampe en opaline verte qu’il allumait de jour comme de nuit pour écrire ses sermons. Je pris conscience qu’il devait chérir sa fille au-delà de ce que j’avais imaginé. Jamais, auparavant, je ne l’avais vu troublé.
- Je t’ai entendu, va-t’en, maintenant, mon garçon, finit-il par dire. Je baissai le front et m’en allai. L’entretien n’avait duré que cinq minutes et je ne savais pas quoi en penser.
Dans le couloir, je rencontrai ma mère qui me sourit et détourna les yeux.


Éditions Fayard - 198 pages