Eté 42, Mme veuve Yourguevitch a eu l'intelligence de se remarier avec M. Duval. Pour plus de sécurité, elle a fait baptiser son fils, David. Elle en est sûre et certaine : maintenant ils sont tous les deux de vrais français. Rien ne peut leur arriver ! Seulement voilà, les choses ne se passent pas comme cette mère l'espérait. Un soir, des voitures noires et des camions se postent aux entrées du quartier et raflent tous ceux qui se sont inscrits sur les registres, qui portent l'étoile jaune, et même les rares autres personnes qui leur portent secours.

David va réussir à passer entre les serres des collaborateurs en se cachant sous un lit dans un appartement vide. Son monde s'écroule. Qui faut-il croire ? Pourquoi les adultes disent-ils tant de choses différentes ? Pourquoi faut-il suivre Mme Lafayette qui veut l'emporter à la campagne ? L'enfant est totalement déboussolé. On le serait à moins. Alors il se fabrique son propre monde. Il est un valeureux résistant et tuera beaucoup de ces allemands et collabos qui veulent du mal à ses voisins et son ami Yacov.

Si les romans sur la rafle du Vel d'Hiv sont déjà nombreux, l'auteur a eu la bonne idée de nous faire revivre cet événements et les jours qui ont suivi via le regard d'un enfant de dix ans sans maquer la montée de l'angoisse chez les adultes. David a 10 ans et il grandit lors une sombre période. Il ouvre un peu plus les yeux sur ce qui l'entoure, comprend un peu mieux ce que les adultes peuvent dire, et note les incohérences. Il se rend compte que parfois les grands ne sont pas très logiques et commence à se faire sa propre opinion. Pour autant, la façon de traiter cette histoire a bien faillir me faire abandonner ma lecture tant les nuages noirs se sont accumulés au fil des pages.

Ce qui m'a gêné au plus haut point est la façon de s'exprimer de David. Je pense qu'il est inutile de faire parlé un enfant comme "petit enfant presque grand." Il est des enfants de 10 ans qui ne mélangent pas les mots dans une phrase, qui sont capables d'une pensée logique. Cette histoire déroulée sous une syntaxe plus riche n'aurait rien perdu en émotion et aurait finalement été plus efficace.

De plus, je sais qu'à cet âge, les petits garçons sont un peu perturbés par la sexualité, que leur sexe est souvent sujet de comparaison, moqueries entre eux. Le fait de voir la voisine Mme Lafayette toute nue alors qu'il lui apporte son linge repassé, titille David passablement. C'est donc bien normal. C'est dans l'ordre des choses. De même le fait que le petit David soit juif et donc circoncis, alors que sa mère le bassine avec son "prétendu" changement de statut, a tout pour perturber encore un peu plus le jeune David à l'imagination déjà prolixe.

Mais à force de revenir constamment, pour ne pas dire à toutes les pages sur cette question, l'auteur fait passer son protagoniste pour un obsédé sexuel, et ce au détriment de l'histoire proprement dite. C'est une question qu'il fallait aborder bien évidemment, car elle est au cœur de l'identité de ce petit garçon, mais l'auteur n'a pas à mon sens trouvé le juste équilibre, et ce qui aurait pu être un réflexion intéressante sur les racines et la construction devient juste redondant et agaçant.

Et comme David est la narrateur de cette histoire, j'ai eu beaucoup de mal à éprouver de la tendresse pour lui tant il m'a énervé. Il faut avouer, à sa décharge, qu'il n'est pas gâté avec la mère qu'il a. C'est une bonne mère juive dans toute sa caricature, dans tout ses abus.

Malgré tout ce qui aurait pu justifier un abandon de lecture, je ne suis pas passée à l'acte parce que l'auteur a tout de même réussi les portraits de ses personnages. La mère de David, Yacov le meilleur ami et souffre-douleur, Chopinette une poivrote sans-abri résistante à sa façon, Mme Souslowska victime des récriminations injustifiée de Mme Duval, ainsi que toutes les personnages qui feront tout pour sauver David des griffes des allemands. Autant de pierres au milieu du guet empêchant le lecteur de couler et lui permettant finalement d'atteindre le gué.

Vers la fin de l'ouvrage, l'auteur change de procédé. Via des échanges de courriers entre les adultes ayant côtoyé, pris en charge David pour le mettre à l'abri à la campagne, on sait combien l'enfant a sombré de plus en plus dans le monde qu'il s'était inventé. Tous ont été marqués par ce gamin imprévisible, à l'imagination fertile.

Si l'idée de départ de cette histoire est intéressante, bouleversante, surtout quand on sait qu'elle est basée sur des faits réels, je n'ai pu adhérer entièrement tant l'irritation était importante. Le second roman de l'auteur est déjà prévu et j'espère que ce qui m'a énervé dans ce récit ne sera pas présent afin que le plaisir de faire un bout de chemin avec ses personnages soit au rendez-vous.

Dédale

Extrait :

Je touche pas au plumier qui est sur la table de la chambre avec les crayons de couleur dedans et le cahier, je veux pas qu'on voit ce qui se passe dans ma tête si je dessine parce que je sais que mes dessins seraient pleins de sang et de gens morts avec M. Villafranca et Ernesto, Chopinette et Mme Souslovska, comme dans mes rêves.

Et puis une fois j'ai dessiné sur le cahier les rues de mon quartier où j'ai couru quand on me poursuivait, mais je mets pas les noms, je dessine des maisons de chaque côté, je fais le plan de ma maison avec tous les meubles et aussi celle des Bornstein, je mets le nom de chacun, je fais le plan de chez Mme Souslovska avec la fenêtre et le lit où j'écris "Là" pour marquer l'endroit où je me suis caché.

Je vais garder ça pour me souvenir plus tard, j'écris sur une feuille à part le nom en entier de toutes les personnes de la rue Jeanne-d'Arc et aussi d'autres qui habitaient plus loin, je le plie le plus petit que je peux et je la cache dans la cheminée, je la reprendrai quand je partirai pour pas oublier. Pour plus tard, si je grandis.


Éditions Buchet-Chastel - 255 pages