Lune captive dans un œil mort est un roman plaisant, qui sur fond de dénonciation d’un monde de loisirs et de divertissement à tout prix, parvient à construire un univers angoissant et des personnages inquiétants. Car à partir d’une situation banale, l’installation de retraités dans ce lieu rêvé, le loufoque et l’absurde prennent vite le dessus.

Les personnages sont déjà assez gratinés. Martial et Odette, les premiers locataires, sont malheureux dans cette nouvelle installation, et leurs nouveaux voisins Marlène et Maxime, s’ils leur apportent de la compagnie, les lassent vite. Surtout que leurs caractères sont difficilement conciliables, avec Marlène qui se cesse de vanter les mérites de son fils qui a réussi, et Odette et Martial venus d’un milieu plus modeste.

Surtout, c’est l’enfermement de ces personnages qui est à l’origine de la force du roman. Ce huis clos (on ne sort jamais de la résidence, et l’extérieur n’est constitué que de dangers, comme ces gitans installés au bord de la route) est rendu encore plus inquiétant par la présence de Mr Flesh, le gardien patibulaire. Cet isolement favorise l’apparition des troubles jusque là refoulés, et les plus bas instincts, comme l’homophobie et le racisme prospèrent. La tension monte jusqu’au moment où la lune brille dans un œil mort, prélude à la fin de la résidence…

Livre plaisant donc, dans lequel l’humour est présent. De plus, Pascal Garnier n’hésite pas à aller au bout de son intrigue et de l’absurde, en poussant à son paroxysme la folie des personnages. Seule réserve, mineure : la systématicité à trouver chez chacun un trouble, car le procédé est un poil trop visible. Mais vraiment, c’est pour pinailler !

Du même auteur : La théorie du panda

Par Yohan

Extrait :

 - Vous avez entendu ça aux infos, Martial, une biche qui a agressé une vieille dame ?
- Un chevreuil.
- Oui, enfin, c’est pareil. Les ours encore, ou les loups c’est normal, mais les biches… C’est à cause des engrais, les bestioles bouffent toutes ces saloperies et elles deviennent folles. Vous verrez, bientôt  on ne pourra plus se promener nulle part.
Ils prenaient l’apéritif sur la terrasse des Node. Les deux femmes étaient à l’intérieur de la maison. On entendait leurs voix en sourdine avec parfois un mot ou un rire qui fusait. Ce n’était pas encore un rituel, mais cela leur arrivait de plus en plus souvent de recevoir tantôt chez les uns tantôt chez les autres, à la bonne franquette. C’était un moment agréable, on parlait de tout, de rien, surtout Maxime qui avait toujours son mot à dire quel que soit le sujet. Le silence l’angoissait, il fallait qu’il meuble. Ça allait très bien à Martial qui, sa vie durant, avait cultivé l’art de ne participer aux conversations que par hochements de tête et sourires de connivence. Oui, c’était agréable, on regardait le ciel virer au mauve puis du mauve au violet, les étoiles apparaissaient sans qu’on s’en aperçoive. Il faisait beau presque tous les jours à présent. Le vert s’imposait un peu partout. Tout ce qu’on touchait était collant. C’était le printemps.
- Je vous en ressers un autre, Martial ?
- Non, je …
- Allez, laissez-vous faire !
- Juste un doigt, alors.
Martial et Odette ne buvaient pratiquement jamais, même pas du vin à table. La première fois qu’ils avaient reçu les Node, il leur avait bien fallu se pourvoir en boissons et depuis, Martial ne dédaignait pas de boire son petit verre quand l’occasion se présentait et elle se présentait de plus en plus souvent. Odette lui en avait d’ailleurs fait la remarque récemment. Ce n’était pas à son âge qu’il allait devenir alcoolique. Il n’y avait rien de mal à se détendre, à se laisser envahir par cette sensation de bien-être qui lui faisait considérer le monde avec plus de bienveillance. Et puis Odette avait bien ses pilules du soir, elle…


Éditions Zulma -  160 pages