Dans ce roman, Véronique Ovaldé nous conte le destin de 4 femmes condamnées à reproduire indéfiniment le schéma familial : être fille-mère et ne pouvoir révéler à son enfant l'identité du père absent. L'histoire commence donc avec Rose Bastumente, la grand-mère de Vera : ancienne prostituée, elle pensait occuper sa retraite par la vente du produit de sa pêche, loin du bruit et des hommes. Mais ses rêves de tranquillité vont être contrariés par l'arrivée de Jéronimo, un riche européen, un gars de la chet-set, qui a fait construire une immense villa en surplomb de la petite cabane de Rose.

Moi qui trouvais que cette rentrée littéraire manquait cruellement de romanesque, je fus immédiatement séduite par la plume et l'univers de Véronique Ovaldé. Les toutes premières lignes du prologue m'ont rappelé un autre prologue, une autre jeune fille soumise à la fatalité ; une petite noiraude qui refuse un jour le destin familial et se dresse « seule en face du monde ». Comme Antigone, Vera sait qu'« il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout ». En dévoilant une partie du dénouement en début de narration, Véronique Ovaldé donne à son récit une dimension mythologique. Dans la première partie, alors que l'on remonte le fil du temps, l'auteure opte pour une atmosphère proche du conte : les noms des personnages, cette contrée indéterminée, le château de Jéronimo et ses cent trente deux marches, donnent un sentiment d'irréel, d'étrangeté, sans pour autant atténuer la violence faite à ces femmes. Sur Vanatupa, les femmes semblent nées pour être les jouets du sexe masculin, et l'alcool le seul refuge possible. Pourtant, Vera brise ses chaînes et s'exile sur le continent.

Véronique Ovaldé quitte alors la forme du conte pour une narration plus réaliste : de la maison d'accueil des filles-mères à la présence d'anciens Nazis en passant par les maisons collectives et les femmes battues, Véronique Ovaldé dresse un panorama assez sombre de l'Amérique Latine. Et pourtant, son écriture reste toujours extrêmement aérienne, pleine d'espoir, d'humour et de notes de tendresse. Et puis, c'est sur ce continent, que Véra rencontrera Itxaga, l'homme qui la réconciliera avec tous les autres. Dans ce récit centré sur les femmes, le personnage d'Itxaga est sûrement le plus beau et le plus complexe : il est celui qui permettra à Vera de réinventer son destin, celui qui ne jugera pas, celui qui saura écouter et attendre. N'allez pas pour autant vous imaginer que tout à coup l'auteur nous plonge dans une bluette insipide pour jeune fille à la recherche du prince charmant. Bien au contraire, Véronique Ovaldé préserve intactes la vraisemblance et la psychologie des protagonistes. La première nuit d'intimité entre Vera et Itxaga est d'ailleurs une des plus belles scènes qui m'ait été donné à lire, parce l'auteur n'occulte justement pas le passif de son héroïne. Mais Vera pourra-t-elle accepter d'être simplement heureuse ? Plus que la fatalité, le déterminisme familial n'aura-t-il pas raison, une fois encore, de la petite-fille de Rose Bustamente ?

Le phrasé de Véronique Ovaldé peut au départ déconcerter : une syntaxe riche et ample, dans laquelle s'insère de multiples parenthèses, des dialogues où n'apparaissent pas les tirets et qui se mêlent subtilement à la narration... Cette façon si particulière de conter participe évidemment au dépaysement et à cette sensation de pénétrer un univers proche du fantastique. Mais c'est avant tout une écriture sonore qui dévoile toute sa poésie dès qu'on l'oralise. On perçoit alors toute la qualité de cette mélodie envoûtante, les ruptures de rythmes, la richesse des images qui se déploient au fil de la narration. La construction cyclique se retrouve dans le destin des personnages et dans l'agencement des chapitres, mais également dans les titres de chacun d'eux puisque se sont des expressions extraites des pages qui suivent. Le lecteur est alors pris dans un tourbillon de mots et de sensations, perd ses repères habituels et devient victime consentante de la conteuse hors pair qu'est Véronique Ovaldé. Et si dans ce roman elle nous livre, comme annoncé, ce qu'Elle sait de Vera Candida, elle le fait avec tellement de grâce et de subtilité que ce verbe savoir est bien trop réducteur pour renfermer tout ce que contient ce récit. Peut-être faudrait lui adjoindre lui les verbes aimer, comprendre, sublimer mais je reconnais que le titre aurait alors été démesurément long. Mais qu'importe le flacon du titre puisque l'ivresse est là. Si vous ne connaissez pas encore Véra, laissez Véronique Ovaldé vous chuchoter son histoire, elle le fait tellement bien, que ce serait un péché de s'en priver.

Ce roman a déjà été beaucoup chroniqué dans la blogosphère, je vous invite donc à retrouver sur la page de B.O.B. les différentes recensions. Je tiens malgré tout à citer ici le billet d'Amanda qui m'a donné envie de lire ce roman.

Laurence

Extrait :

Elle sait qu'il lui faut retrouver la petite cabane au bord de la mer, s'asseoir sur le tabouret dehors et respirer l'odeur des jacarandas mêlée à celle, plus intime, plus vivante, si vivante qu'on en sent déjà poindre la fin, celle pourrissante et douce de l'iode qui sature l'atmosphère de Vatapuna. Elle se voit déjà, les chevilles sur le bord d'une caisse, les mains croisées sur le ventre, le dos si étroitement collée aux planches qu'il en épousera la moindre écharde, le moindre nœud, le plus infime des poinçons des termites géantes.
Tout au long du voyage en minibus qui l'emmène du port de Nuatu jusqu'à Vatapuna, Vera Candida somnole en goûtant à l'avance la lenteur du temps tel qu'il passe à Vatapuna. Vera Candida sait qu'en revenant à Vatapuna, elle récupérera son horloge. Celle qui ne ment jamais, qui ne fait pas disparaître comme par un enchantement malin les heures pleines, celle qui ne dévore rien et égrène avec précision, et une impartialité réconfortante, les minutes, qu'elles soient les dernières ou qu'elles ponctuent une vie encore inestimablement longue.


Éditions de L'Olivier - 293 pages