Quand Elisabeth Quin, après de longs mois d'attente, se rend au Cambodge pour chercher sa fille, la France décide de ne plus accepter d'adoptions d'enfants cambodgiens par ses ressortissants. Elle sait alors que les semaines à venir seront encore plus difficiles que prévues. Difficile car elle doit faire face aux regards d'incompréhension (comment une femme qui n'est pas stérile peut-elle vouloir adopter ?) et aux jugements à l'emporte pièce ; difficile car la petite Thavery doit accepter cette nouvelle maman ; difficile enfin car les démarches administratives et les pots de vin semblent interminables. Pendant les quelques semaines où elle sera pratiquement enfermée dans sa chambre d'hôtel, Elisabeth Quin s'interroge sur son désir et son passé : est-ce d'avoir entendu son père lui dire « Tu n'es pas la fille de ta mère » qui l'empêche aujourd'hui de se reproduire naturellement ? Pourquoi adopter une petite asiatique quand l'adoption en Afrique est bien plus simple ? Qui est-elle pour arracher la petite Thavery de son pays d'origine ? 

Ce qui marque dans ce récit, c'est le pacte de sincérité qu'a signé Elisabeth Quin : sans aucune complaisance, elle se pose les questions délicates du choix et de la vision occidentale sur l'adoption. Toujours, elle tente d'y répondre avec une grande sincérité, quitte à se montrer particulièrement dure avec elle-même. Loin du conte idyllique, Elisabeth Quin ne cache rien de ses doutes et de ses failles. Elle tente également de comprendre ce qui dans l'enfance a pu l'emmener dans cette chambre d'hôtel, loin de l'homme avec qui elle vit.

Alors, bien sûr, ceux qui chercheront dans ces lignes un beau roman sur l'adoption, plein de bons sentiments et d'émotions, risquent d'être fort maris. Tu n'es pas la fille de ta mère n'est pas un roman mais le récit introspectif d'une femme qui cherche à mieux se connaître pour pouvoir aimer celle qu'elle a choisie (ou qui l'a choisie). Et comme tout témoignage, le texte d'Elisabeth Quin a donc aussi ses limites : celles de ne peut-être faire réellement écho que dans les cœurs et les âmes des personnes concernées par ce sujet. J'ai en effet apprécié l'intransigeance et la sincérité d'Elisabeth Quin mais je n'ai pas été bouleversée et déjà les contours de son histoire s'effacent peu à peu de ma mémoire.

Laurence

Extrait :

« Adoptez en Éthiopie, ou au Mali ! Pourquoi les Français veulent-ils tous des Asiatiques ? »
Elle jubilait, la belle conscience parisienne, parce qu'elle connaissait déjà ma réponse et que sa victoire facile la ravissait. Je sais qu'elle s'est sentie supérieure à moi lorsque je lui ai avoué ne pas être assez ouverte, généreuse, mûre, ou encore trop dépendre du regard social et des préjugés de mon milieu bourgeois, pour adopter un petit Africain.
Mais l'agressivité de sa question m'a donné le courage de formuler ma vérité. J'aurais voulu pouvoir crier « de n'importe quelle couleur, il sera le mien ! Je me fiche bien qu'il soit jaune, noir, blanc ou vert à pois roses, pourvu qu'il ait besoin de moi ! ». J'aurais voulu balayer les notions de références, de choix, être une arche, un recours, une auberge espagnole, j'aurais voulu être porteuse de cet amour-là. Mais si je mets à l'épreuve ma vision du monde qui me semblait jusqu'à présent dénuée de racisme, je découvre tapissée sur le pourtour de mon inconscient une triste polypose d'angoisses viscérales, de fantasmes sur le ressentiment post-colonial des Noirs et de rêveries érotiques génératrices de culpabilité. Je ne saurais pas faire taire le malaise au fond de mon cerveau reptilien de petite Blanche élevée parmi les Blancs, ni surmonter ma fascination équivoque devant le grand Autre, le Fondamentalement Différent, la face antipodique de ma blancheur.


Éditions Le Livre de Poche -   187 pages