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La littérature africaine ne bénéficie pas d'une large publicité, c'est le moins qu'on puisse dire. Et encore, parler de l'Afrique est un peu abusif, car si les lecteurs français ont assez facilement accès aux littératures d'Afrique du Nord (Maroc, Tunisie, Algérie, Egypte) ou du Sud, le nombre d'auteurs d'Afrique noire, même francophone, est lui très maigre. Une fois n'est pas coutume, il sera question d'un roman burkinabè, L'héritier, qui mérite vraiment d'être découvert. 

La littérature africaine ne bénéficie pas d'une large publicité, c'est le moins qu'on puisse dire. Et encore, parler de l'Afrique est un peu abusif, car si les lecteurs français ont assez facilement accès aux littératures d'Afrique du Nord (Maroc, Tunisie, Algérie, Egypte) ou du Sud, le nombre d'auteurs d'Afrique noire, même francophone, est lui très maigre. Une fois n'est pas coutume, il sera question d'un roman burkinabè, L'héritier, qui mérite vraiment d'être découvert. 

Mouni, après des études en Europe, est revenu habiter chez ses parents, au Burkina-Faso. Il y vit avec son épouse, Odile, et ses parents, qui ont pris le pouvoir sur le jeune couple. Mouni, pour rapporter de l'argent à sa famille, vend son corps à des européennes de passage. Ses parents ne connaissent pas cette activité, mais ils se doutent que ce que fait Mouni n'est pas réjouissant, surtout lorsqu'Odile quitte le lit conjugal au milieu de la nuit quand Mouni rentre, entouré des effluves de parfum de ses clientes. Pour remettre la main sur leur fils, qui leur échappe peu à peu, les parents tentent de lui faire entrevoir le droit chemin, au risque de détruire la cellule familiale.

Mouni est le personnage central de cette histoire. Jeune homme fort, vu comme le poursuivant de la dynastie incarnée par un père influent, il est revenu à Déneyan après des études en Europe qui n'ont pas débouché sur grand chose. Son amour pour Odile est sincère, mais l'attrait de l'argent facile est plus fort. La nuit, dans des night-clubs chics où se ruent les européennes seules à la recherche de frisson, il fait ce qu'il faut pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. Mais son caractère, que son père voudrait fort, ne correspond pas aux ambitions que ce dernier a pour lui : les places près du pouvoir ne l'intéressent pas, et il ne souhaite pas à tout prix reproduire le schéma suivi par son père. Alors, s'il n'accepte pas la tradition, c'est la tradition qui s'imposera à lui, par tous les moyens possibles.

L'héritier, plus que par son intrigue centrée autour d'une famille qui tente de vivre malgré ses contradictions, vaut essentiellement pour le décor sous-jacent de ce roman. En faisant cohabiter des parents qui se sont épousés suite à une histoire amoureuse et romantique inhabituelle dans ce pays, et un fils qui mène une vie qu'on peut qualifier de dissolue, l'auteur met en lumière les différences de pensée des membres de la famille. A travers la confrontation des générations, Sayouba Traoré montre combien est fort le poids de la tradition, combien les convenances ont une place importante, mais qu'il est également possible de s'en libérer, comme ont pu le faire ses parents. Néanmoins, malgré leur apparente ouverture, ces derniers souhaitent que Mouni ne s'éloigne pas de ce qui fait toute la vie du village.

L'écriture de Sayouba Traoré est très agréable. Il varie les longueurs de ses phrases (heureusement, car les phrases courtes du début m'ont un peu inquiétées), joue sur leur construction, alterne récit et discours. C'est donc une plume originale et intéressante que j'ai découvert avec ce roman. Et un dépaysement assuré, car loin de tout folklore (hormis quelques proverbes africains ça et là), Traoré emmène le lecteur occidental loin de ce qu'il connaît, même si les personnages qu'il y rencontre sont finalement plus proches de lui qu'il peut le penser au premier abord. 

Yohan

Extrait :

 Semblable à la route, le temps est une assiette sans propriétaire. Chaque matin y puise ce qui passe à sa portée. Un élégant coursier que nul ne peut dompter. Chacun saute en selle et fait un bout du chemin. et il reste quand même des gens qui ont la bouche pour parler de perdre du temps. Comment acquérir ce qui ne peut vous appartenir ? Et comment peut-on perdre ce que ne peut-être votre propriété ? Les beaux souvenirs ne suffisent pas. Les moments haletants ne peuvent tenir lieu de repères valables. La vie des hommes se révèle de dérisoires jalons. Les humains ! Brindilles que le vent malmène. C'était hier. La vieille Ténin en jurerait. Hier encore, elle et son pépinièriste se battaient pour nouer  leur destin. Et aujourd'hui, ils marient leur garçon. Penser qu'il n'y a plus personne pour se moquer de leurs maladresses. Tous partis. Pris un à un par cette éhontée qu'on nomme la mort. Car, comment qualifier quelqu'un qui récolte ce qu'il n'a pas semé ?


Éditions Vents d'ailleurs - 144 pages