On ne présente plus Françoise Sagan. Elle aimait entre autre tant les voitures et la vitesse. A la suite d'un accident de la route, elle est en proie à des douleurs si intenses qu'elle doit prendre très régulièrement un succédané de morphine pour calmer ses souffrances. Au bout de trois mois, elle est pratiquement droguée et une cure de désintoxication s'impose.

Dans Toxique, c'est la peur de la souffrance, celle qui vous surprend dès que vous baisser la garde une seconde que développe ici l'auteur.

J'ai peur depuis quatre mois. J'ai peur et je suis lasse d'avoir peur.

Ce qui est vraiment marquant dans ce journal, c'est qu'il a été écrit en 1957, soit trois ans à peine après Bonjour tristesse. L'auteur est donc jeune, 22 ans. Elle s'exprime déjà de façon si caractéristique. J'ai trouvé dans ces lignes une distance ou un recul étonnant.

Introspection, maturité dans ses réflexions sur la souffrance, le travail d'écriture pour penser à autre chose, lire et s'étonner encore sur Rimbaud, Apollinaire ou Proust. Réaliser aussi que l'écriture est essentiel à sa vie.

Mais il me semble que, désormais, mes seuls rapports heureux avec moi-même, en dehors des autres êtres et des quelques moments d'exaltation ou de bien-être physique que la nature procure, ne pourront être que littéraires.

Style spontané ou déjà travaillé ? Je ne sais. Une sorte de froideur transparait de ces mots assez secs. Expression d'une indifférence ou bien une sorte de protection contre l'extérieur, la douleur ? En tout cas, peu de mots pour dire, la douleur, la peur qu'elle engendre, l'ennui aussi d'être enfermée dans cette clinique spécialisée au milieu des schizophrènes et un personnel tout de même attentif.

Parfois, on est ébahit devant une phrase toute simple mais d'une grande beauté. Et là, on reste un temps en suspend.

Ce journal est un inédit de l'auteur. Pour sa publication nouvelle chez Stock, il est illustré par d'étonnants et presque dérangeants dessins de Bernard Buffet. Que l'on apprécie ou pas l'œuvre du peintre, ses dessins accentuent le sentiment ambiant de ce journal. Ce sont des dessins aux traits secs, noirs, d'une violence brute. Des corps nus tout en angles. La douceur, les rondeurs ne sont pas de mise. Mais la combinaison dessins-mots est étonnante et pourtant elle fonctionne très bien.

Ce qui est aussi très intéressant, c'est que ces dessins-mots ne se lisent pas comme on pourrait lire une bande dessinée. On s'engage dans une toute autre forme de lecture. Le texte d'abord et puis vient ensuite l'appréhension du dessin qui exprime encore autre chose ou autrement. A moins que ce ne soit l'inverse sur une autre page.

Que l'on aime ou pas Françoise Sagan ou même Bernard Buffet, c'est tout de même un petit ouvrage à découvrir et qui ne laisse pas indifférent. Une belle réussite.

Du même auteur : La chamade, Des bleus à l'âme, Un matin pour la vie et autres musiques de scènes.

Dédale

Extrait :

« Dans une grande maison de vitres encore ruisselantes, les enfants en deuil... » Après le déluge, Rimbaud. Je me rappelle un après-midi, très tôt, sur la plage d'Hendaye où j'avais connu, seule, avec ses poèmes, un très grand bonheur.

...

Je relis Proust, la passion de Swann avec bonheur ; un réel bonheur, comme de coïncidence entre la vérité et la prose, chose rare. Je n'aime pas l'invention en littérature, c'est pourquoi Faulkner ne m'a jamais vraiment touchée. Ses monstres ne sont pas les miens, ainsi se justifie à mes yeux l'océan Atlantique. Je ne comprends pas grand chose à cette dernière phrase.
Il faudrait bien que j'écrive cette nouvelle au lieu de me livrer à ce petit marivaudage avec moi-même.
Ça fait écolière ; Écolière droguée, il est vrai.

...
J'ai appris des trucs, peut-être, des truquages. Quand donc aurai-je la force de conduire une Aston ? De prendre la porte Maillot un peu vite... Les rues, les places sont autant de regrets.
Ce capot noir qui s'élançait, ce bruit confiant, amical, Jaguar un peu longues, Aston un peu lourdes, je m'ennuie de vous à périr, après avoir faillir périr par vous.

Toxique
Éditions Stock - 96 pages