Autour de la narratrice : des médecins sans nom, des amis qui s'appellent Cancer ou l'Artiste, un personnel médical qui n'est connu que par ses caractéristiques physiques. Un univers anonyme donc. Et la narratrice raconte sa déchéance, son envie de mourir et de disparaître.

Un livre exceptionnellement dur, donc, qui a remporté le prix Robert-Cliche cette année. Des fois un roman a tout pour te plaire et tu es déçue. D'autres fois, tu attends un roman avec quelques tonnes d'appréhension... et puis la littérature fait son travail. Avant de l'avoir lu, je trouvais en effet le thème du roman casse-cou, la proposition difficile. Il y avait tout là pour un ton d'apitoiement, une narration insupportable de petits et grands maux de vivre, un genre de prétexte pour qu'une auteur de 19 ans nous partage ses souvenirs douloureux mêlés à quelques petites généralités sur le mal de vivre et ses causes. Je l'avoue : j'ai pensé tout ça avant d'ouvrir le livre.

Et puis non ! Une vraie voix littéraire : difficile à en être insupportable, mais une voix ! Pas une fois le propos m'a semblé plaqué. Pas une fois j'ai senti que le livre était un collage d'images clichées sur la mort. Et avec toutes les appréhensions que j'avais, c'est un tour de force, vraiment. Alors mea culpa (c'est mal les appréhensions, c'est laid, mais c'est tellement humain en même temps !). 

Olivia Tapiero signe-là un texte réussi, maîtrisé à mon goût, mais sûrement aussi le plus dur livre que j'ai lu depuis longtemps. Le seul livre que je n'ai pas su lire tout en mangeant (moi qui lis toujours en mangeant!). Non, rien à faire, je ne pouvais pas faire fondre la boule d'émotions et d'empathie que j'avais pour ce personnage, cette jeune fille si blessée dont la douleur n'est jamais expliquée. C'est d'ailleurs une très grande force de ce roman, de ne pas chercher une raison dans un drame quelconque pour nous expliquer ce mal de vivre. Il y a mal de vivre: on le dissèque. Point.

J'ajouterais qu'Olivia Tapiero met le doigt sur un élément important pour moi, soit la particularité d'être dévorée par le mal de vivre tout en étant si lucide. Et elle le fait, comme le reste: de façon juste, sans trop appuyé. (Voir l'extrait)

Catherine

La Recrue du mois est une initiative collective qui met en vedette le premier ouvrage d’un auteur québécois. Pour lire les autres commentaires sur ce livre vous pouvez donc vous rendre sur le site de La recrue du mois

Extrait :

Il y a des minutes, parfois, à l'intérieur desquelles je suis fatiguée d'être folle, quand je vois les cas chroniques qui ne font que revivre la même journée jusqu'à ce qu'ils meurent, quand la folie ne devient qu'une routine fastidieuse dépourvue de toute intensité. Quelques petites minutes quand je vois d'anciens patients qui reviennent encore et encore, qui tombent et qui retombent, qui semblent lassés mais piégés. Je les regarde chuter et rechuter et je me demande pourquoi je devrais me battre. On m'a dit de me battre pour ma vie, pour moi-même, on m'a dit de me battre pour mon potentiel, pour ma jeunesse, pour me laisser une chance d'être autre chose, je me dis que la vie serait tellement plus simple si je pouvais la mourir comme je voulais, si on me foutait la paix.


Éditions VLB - 150 pages