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Victoire ou défaite ?
Don Benvenuto serait bien incapable d'en juger. Du moins, pour l'instant.
Or il se trouve que juger des situations et anticiper les mauvais coups, en plus d'être une seconde nature, c'est devenu officiellement son métier. Mais jusqu'à quand...?

Dix heures de combat et il s'en tire vivant.
C'est déjà ça.
Mais ce n'est pas tout de sortir vivant des galères de la république. Une fois rentré au pays, il faut aussi se sortir des intrigues politiques, des complots, des pièges et des duels. Alors évidemment Don Benvenuto froisse un peu quelques susceptibilités, égratigne légèrement le vernis de la cour et frappe à grands coups sur les malandrins. Eh bien, quoi ? Il faut bien vivre, non ? Ou plutôt, survivre... Car tout n'est pas aussi rose qu'on le pense dans les Vieux Royaumes. Et dans la belle Ciudalia, un mal rôde et il ne fait pas bon s'y frotter.

Il est particulièrement délicat de critiquer un livre qui, dès les premières pages, se pose comme un chef d'œuvre du genre. Délicat parce que ce sentiment (bien que déjà partagé par nombre de lecteurs) est tout à fait personnel et subjectif. Délicat également parce que ce faisant, c'est un engagement pris à ce que le lecteur suivant aime l'œuvre et contre toute attente, parfois, la sauce ne prend pas.

Pourtant, je le dis, je le clame, je l'écris : ce roman est un chef d'œuvre.

Nous retrouvons Don Benvenuto juste après sa malencontreuse aventure publiée sous forme de nouvelle dans le recueil Janua Vera. Il est dorénavant au service du Podestat de la République mais n'a rien perdu de sa gouaille et de son habileté à se fourrer dans les pires situations qui soient (quant à en sortir vivant, du moins indemne, c'est une autre histoire).

Gagner la Guerre, c'est la suite haute en couleurs des aventures de ce héros à la limite du politiquement correct, volontiers grivois, légèrement soudard sur les bords mais exceptionnellement attachant. C'est une tranche de vie comme il en existe peu dans la littérature des mondes imaginaires.
D'ailleurs, nous sommes assez loin des poncifs de la fantasy. Ciudalia ressemble étrangement à la Venise de la fin du Quattrociento et rien n'est fait pour effacer cette image. Au contraire, l'auteur la renforce par ses descriptions, l'ambiance générale des guerres contre ce qui peut s'apparenter aux Turcs et finalement une atmosphère très réaliste. La magie (élément récurrent de la fantasy) est quasi absente, et de toute façon Don Benvenuto n'y entend rien.

Jean-Philippe Jaworski signe ici son premier roman, et quel roman ! Et quelle plume !
C'est un auteur français sur lequel il faudra désormais compter en fantasy. Car avec un début comme celui-ci, forcément, les prochains ouvrages sont très attendus...
En tout cas, je ne me lasse pas de vanter les aventures de Don Benvenuto et de le faire découvrir. J'espère avoir réussi à partager un peu cette envie.
Je dois confesser que l'extrait fut particulièrement dur à choisir car l'envie me prenait de citer des pages entières du livre... Mais juste pour le plaisir, et parce que c'est tellement rare, je vous laisse un passage étrange avec une adresse directe au lecteur.

Pour conclure, donc, un ouvrage a découvrir ab-so-lu-ment !
Mon coup de cœur 2009 !

Du même auteur : Janua Vera

Cœurdechene

Extrait :

Même si le principal volet de ma mission était de délivrer un message, j'ai toujours un terrible scrupule à me montrer bavard. Bien sûr, je vois déjà mon aimable lecteur en train de ricaner sur mon compte, en se disant que pour un type taciturne, le Benvenuto a un sacré crachoir. Eh bien j'ai le regret de dire à mon aimable lecteur qu'il se fourre une phalange ou deux dans l'œil, en plus de risquer des ennuis s'il me croise au coin d'une rue. Je suis tout ce qu'on voudra, beau parleur, phraseur, cabotin, et même un peu éloquent si je m'oublie, oui madame, mais je ne suis pas bavard. Pas du tout. Le bavard est un imbécile qui parle sans réfléchir. Le bavard est un incontinent qui ne garde rien. C'est un panier percé qui ne se rend pas compte de la valeur de la parole.

Or, la parole, c'est de l'or. La parole, c'est du bien. La parole, c'est du fer, du poison, du baume. La parole, c'est du sexe, de la mémoire, de l'avenir. De la divinité. La preuve : je commence à l'échauffer un peu, l'aimable lecteur, non ? Il s'en tape pas mal, de mes distinguos diptérophiles ; il se contrefiche que je puisse le poinçonner, il n'y croit guère ; il se demande surtout quand je vais passer à la suite, lâcher le message du Podestat, comprendre le fin mot de l'affaire. La parole que je retiens a plus de poids, à ses yeux, que la possibilité d'avoir la déveine de tomber sur moi demain matin.
Tout est là.



Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski - Éditions Les moutons électriques - 684 pages.