Août 1945. Ansgar est prisonnier de guerre dans un camp américain de Normandie à Cherbourg-Foucarville. Bien que déserteur, se voit traité en ennemi. Les vainqueurs ne prennent pas le temps de trier le bon grain de l'ivraie.

Pourtant, né à Aix-la-Chapelle dans une famille de catholiques convaincus et antinazis de première date, il y a connu la monstrueuse montée de la peste brune, les ravages de la propagande dès l'école. C'est avec effroi et incompréhension qu'il voit partir pour les camps leurs voisins juifs, dont la petite Elsa, la fille à l'étoile d'or.
Il ne s'était pas rendu compte qu'il en était amoureux. Peu à peu ce sentiment se fait jour. Il ne peut que se raccrocher à une reproduction d'une toile de Modigliani fort ressemblant pour ne pas perdre totalement l'image qu'il garde de sa voisine. Face à cette période troublée et l'inquiétude constante, Ansgar se raccroche à ses chères études, à sa passion pour tout ce qui a trait à Carlus Magnus, le Grand Empereur Charlemagne et sa chère ville d'Aix-la-Chapelle.

Avec ce roman, Roger Bichelberger évoque le cas des opposants anonymes au IIIe Reich, ceux qui avaient encore une conscience et/ou une foi pour refuser la gangrène, la peste brune. Il fait très bien ressortir la montée des idées assénées par le "Mr venu de Braunau" comme l'appelle Ansgar pour ne pas avoir à prononcer le nom de Hitler. En termes sobres, simples, - comme dans un rapport presque froid, ce qui accentue encore plus l'horreur des exactions perpétrées -, l'auteur et Ansgar parle des moyens usés par la propagande pour infiltrer les consciences, annihiler toute velléité de résistance. Il y a aussi tout le dilemme de certains allemands à devoir faire "semblant" pour sauver leur vie et ceux de leurs proches ou ceux qui par de petits actes du quotidien résistent comme ils peuvent. R Bichelberger se qualifie lui-même de chrétien qui écrit plutôt qu'écrivain chrétien et cela s'en ressent dans ce roman. C'est une foi profonde qui lit l'adolescent allemand et l'auteur mosellan. C'est certainement cette foi qui a empêché Ansgar et sa famille de se laisser prendre par le chant nauséeux que les nazis "braillent dans la rue" selon les termes de Oma, la grand-mère d'Ansgar.

Une histoire racontée sans volonté de vengeance ou de rancune mais juste porter par celle de comprendre comment les allemands en sont arrivés là. Et puis comment réparer ? Comment réparer le mal fait à Elsa et aux siens ? Une histoire toute simple mais édifiante. A lire.

Dédale

Extrait :

Dimanche 19 août, au soir

La fille aux grands yeux bleus dont je rêve nuit et jour dans ce camp n° 19 de Cherbourg-Foucarville s'appelle Elsa Godschalk.
Depuis son rapt par les nazis, son image brûle au-dedans de moi et, dès que j'évoque Aix-la-Chapelle par le souvenir et, en corollaire, celui à qui notre cité doit tout, Charles le Grand, elle m'apparaît comme en filigrane derrières les scènes ou les monuments que je vois, eau vive et statue de sel, rayonnante aurore et nuit de ténèbres.
Ma Judenkönigin.
Ma reine juive.
Celle qui m'a choisi pour Prinz.
Le premier, l'unique.

Quelques semaines plus tard, mon père perdait son emploi de jardinier à la ville. Comme il refusait toujours d'adhérer au Parti, il avait dû laisser la place à une collègue dûment inscrite et se retrouva chômeur.
Ma grand-mère paternelle, qui demeurait plus à l'est dans la ville de Göttingen, nous écrivait souvent. Avec l'infaillible instinct de ceux qui flairent le mal de loin, elle n'éprouvait que mépris pour le parti nazi et ses adeptes et ne se gênait pas pour le dire. Il arrivait que ses lettres – dont aucune, fort heureusement, n'est jamais tombée dans des mains... disons « inamicales » - comportassent des phrases comme celle-ci : « À l'heure qu'il est, une fois de plus, les Hitler (sic) défilent dans la rue, juste devant ma maison, et je les entends braire jusque dans ma cuisine. Où donc ont-ils laissé leur jugeote ? »
Braire : c'était tout dire.


La fille à l'étoile d'or de Roger Bichelberger - Éditions Albin Michel - 163 pages