Jon Campelli est un avocat trentenaire voué à une brillante carrière. Alors, quand son père meurt dans d'étranges circonstances, Jon pense d'abord vendre la librairie paternelle – Libri di Lucas - pour se consacrer corps et âme à une nouvelle affaire qui lui permettrait de devenir associé du cabinet d'avocats pour lequel il travaille. D'autant que les relations entre le père et le fils n'étaient vraiment pas au beau fixe depuis que Lucas avait placé Jon en famille d'accueil, il y a 20 ans, sans aucune explication. Rongé par la colère et la rancœur, Jon ne veut pas entendre parler de l'héritage paternel. Mais les clients de la librairie semblent exagérément inquiets d'une possible vente et lui révèlent l'incroyable secret qui entoure ce lieu unique : il y a dans le monde, des personnes dotées d'un savoir-faire unique ; des lecteurs capables d'entendre les livres et à travers eux d'influencer les décisions des hommes de pouvoirs. Lucas Compelli était un membre émérite de cette société et sa mort n'a rien de naturelle. Mais qui a pu tuer Lucas ? Et pourquoi ?
Bien malgré lui, Jon se retrouve alors au milieu d'une tempête qui le dépasse et qui menace l'ordre du monde.

Un thriller dont le thème central est le pouvoir de la lecture a de quoi susciter la curiosité de n'importe quel lecteur compulsif. On espère y retrouver les sensations si particulières de ces moments où la page et les caractères typographiques disparaissent pour laisser place à des personnages et un décor qui semblent parfois plus concrets que la réalité. Les tous premiers chapitres de La Librairie des Ombres ne font que renforcer cette attente et quelques passages réveillent des sensations bien connues :

Beaucoup de passagers lisaient en allant ou en revenant du travail, mais leur attention vacillait souvent en cours de lecture, et Katharina percevait quand ils s'interrompaient soudain pour relire un passage précédent. Elle voyait quasiment les images suscitées par le texte se dissoudre dans les soucis du travail, d'amour ou de courses à faire pour le repas. De temps à autre, elle intervenait. Si elle trouvait l'histoire bonne, elle encourageait le lecteur à se concentrer, parfois si efficacement que la personne en question ratait sa station ou son arrêt. Autrement, si le texte était mauvais, ou si Katharina désirait simplement maintenir les voix à distance, elle sabotait la lecture jusqu'à ce que le lecteur soit si déconcentrée qu'il abandonnait.

Malheureusement, ces trop rares passages ne suffisent pas à faire de La Librairie des Ombres un roman captivant et abouti, et j'aurai bien eu besoin d'une Katharina auprès de moi pour magnifier cet insipide récit.

S'agissant d'abord des pouvoirs des Lettore, Mikkel Birkegaard propose une version affadie de ce qu'était en droit d'attendre le lecteur. Nulle magie de la lecture ici mais des descriptions plus ou moins poussives de ce qu'est sensé ressentir le Lettore et l'écriture sans relief peine à rendre compte de ce fabuleux don. On fait donc très rapidement le deuil d'un roman centré sur la fascination de la lecture et on pense pouvoir se rattraper avec un thriller où le suspens se mêle habilement à un rythme soutenu et haletant.

Hélas... l'intrigue se révèle incohérente et claudicante ; le suspense mal maîtrisé (dès le départ, le lecteur sait qui est le traitre quand les protagonistes ne le réalisent qu'à la 300ème page...) et le dénouement totalement rocambolesque. Les toutes dernières pages tombent comme un cheveu dans la soupe, à tel point que l'on se demande si l'auteur, fatigué lui-même du manque de cohérence de son récit, n'a pas mis un point final par dépit.

Je me suis demandé, en refermant le livre et après avoir rédigé ce billet, si je n'avais pas trop espéré de ce roman - ce qui pourrait expliquer ma déception. Mais j'ai depuis eu l'occasion de lire le billet d'Yspaddaden, et sa désillusion est à la hauteur de la mienne.

Laurence

Extrait :

- Je t’ai demandé si tu croyais que c’était une salle de lecture ?
- Non, bien sûr que non, répondit Jon un peu désarçonné. Mais ça ne gêne personne, je pense, tant que je ne lis pas à voix haute, non ?
Jon sourit aimablement.
- Si, justement, s’exclama l’homme en posant son index sur la table. La lecture peut-être gênante, je dirais même dangereuse. (Il leva sa bouteille mais s’arrêta au milieu de son geste.) Et pas seulement pour ceux qui lisent, aussi pour ceux qui sont à proximité… la lecture passive, c’est pas une blague.
L’homme à la Porter monta le goulot à ses lèvres et, incapable de savoir quelle réponse le satisferait, Jon fit de même avec son verre.
- Imagine si tout le monde autour de toi lisait sans modération, poursuivit l’homme après avoir reposé brutalement sa bouteille sur la table. Les mots et les phrases voleraient comme des flocons de neige dans la tempête. (L’homme leva les mains et les agita en battant le vide.) Ils s’emmêleraient, se colleraient en phrases incompréhensibles, se sépareraient pour se réunir en mots et paragraphes à te rendre dingue, parce que t’essayerais de trouver un sens là où il n’y en a pas.
- Ça ne m’est jamais arrivé, hasarda Jon.
- Ah ! S’exclama sèchement l’homme. C’est parce que tu n’écoutes pas, que tu n’écoutes pas vraiment, je veux dire. Mais une fois que t’as appris à écouter, t’es foutu. Après tu dois vivre avec la voix des livres, toute ta vie, que tu le veuille ou non. T’as pas le choix. Les plus beaux poèmes, les romans de gare et le genre de foutaises que t’es en train de lire, tout ça se presse et empoisonne l’air autour de toi.

La librairie des ombres
La librairie des ombres de Mikkel Birkegaard - Éditions Fleuve Noir - 456 pages