Ce roman donne à entendre ces trois voix, successivement, mais sans ordre précis. Angelino fait part du dégoût qu'il éprouve envers sa mère et les clients qui lui tournent autour comme si elle était une déesse. Son but est de la faire craquer, notamment en évoquant la figure paternelle, qui rappelle de forts mauvais souvenirs à Madame Angeloso. Mr Coquemar et Danuta sont dans un tout autre état d'esprit. L'un éprouve une profonde amitié pour sa logeuse. Homme habitué aux voyages par son métier, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour venir le plus souvent possible à Dunkerque, là où Madame Angeloso tient son hôtel. Pour Danuta, c'est plutôt de la reconnaissance qu'elle ressent pour sa patronne. Venue de Pologne sans le sou et en ne connaissant pas le français, Madame Angeloso lui a permis de peu à peu se familiariser avec cette langue, notamment lors de la cérémonie de la mise et du retrait du corset de fer qui entoure la poitrine de Madame Angeloso (ce qui donne d'ailleurs lieu à de magnifiques scènes, intimes et touchantes). Ce qui lui permet d'obtenir un poste important de traductrice.
En creux, on découvre la vie singulière de cette femme, marquée par une expérience professionnelle heureuse à Ostende, mais qui a tout perdu car elle n'a pas su ouvrir à temps les yeux pour s'apercevoir des mensonges de son mari. Elle a tenté de reconstruire sa vie, mais les images de ce passé, savamment ravivées par Angelino, ne cessent de la hanter. On découvre donc une femme forte, que ce soit au niveau de la corpulence ou du caractère, et qui n'hésite pas à faire des choix radicaux.
François Vallejo aime l'histoire et les événements historiques, comme il a pu le montrer dans d'autres romans. Ici, rien ne laisse présager l'apparition de grands moments historiques. Mais il mêle habilement anecdotes sur le vie de Madame Angeloso et événements planétaires. Ainsi, outre la figure du Dalaï-lama, on découvre que la première rencontre entre Mr Coquemar et Madame Angeloso a lieu le jour où François Mitterrand se rend au Panthéon après son élection. De même, l'explosion de Tchernobyl ou la fin de l'état de guerre en Pologne rythment la vie de Madame Angeloso et de ses clients. En mêlant histoire individuelle et collective, le roman prend une dimension supplémentaire tout à fait pertinente.
L'auteur entraîne donc le lecteur dans ce périple sur les traces de cette femme dont on revit l'histoire par les yeux des autres. En donnant à chacun une manière très spécifique de s'exprimer, il permet d'identifier rapidement le point de vue utilisé dans chaque chapitre. Au début très courts, ceux-ci s'allongent petit à petit, comme si leur langue se déliait, chacun ayant moins de difficultés à raconter les événements qu'il a vécu. Une histoire singulière, parfois déroutante par les méandres qu'elle emprunte, mais qui donne à voir la vie extraordinaire d'une femme qui n'en demandait pas tant.
Du même auteur : Métamorphoses, Le voyage des grands hommes, Groom, Ouest, L'incendie du Chiado, Vacarme dans la salle de bal, Les sœurs Brelan
Lire l'interview de François Vallejo pour le Biblioblog
Extrait :
Mr Coquemar
C'est le doute, toujours, ma condamnation, après tant d'années. Pourquoi est-il si important pour moi, maintenant qu'elle est morte, de savoir si, à un moment de sa vie, et de la mienne, à ce moment précis, j'ai donné du plaisir à cette femme ? Du plaisir ou rien ? Elle aurait simplement pris conscience, après quelques instants d'oubli, de l'incongruité de la situation ? Ou les deux ? Le plaisir est forcément incongru. Avais-je véritablement envie, moi-même, de trouver avec elle, ou en elle, mon propre plaisir ? Y étais-je prêt ? Ce souvenir m'irrite. Ma mémoire, d'ordinaire, est irréprochable. Là, je suis obligé d'admettre une incertitude.
Trop tard pour savoir. Le train est en phase d'approche de la gare. Dans quelques minutes, je reverrai mon amie couchée, comme le 2 mai 1986. D'ailleurs, je ne la reverrai pas vraiment. Il me restera sur les paumes le souvenir d'un galbe pas tout à fait ordinaire, la sensation veloutée d'une chemise de nuit mauve, une saveur saline, un picotement magnétique, rien d'autre, il ne me restera rien d'autre de Madame Angeloso.
Madame Angeloso de François Vallejo - Éditions Viviane Hamy - 224 pages
Commentaires
mercredi 28 avril 2010 à 21h12
J'ai bien cette "madame Angeloso" moi aussi : 3 points de vue complémentaires, qui tracent un portrait comme à traver un kaléidoscope.
Je vous signale aussi la lecture de "Ouest", dont le sujet n'a rien n'à voir, mais qui donne à voir aussi un personnage très intéressant. Par contre j'ai moins aimé "l'incendie du Chiado" que j'ai lu dans la foulée des deux précédents : je ne me suis pas retrouvée dans cette histoire qui se déroule pendant l'incendie qui a ravagé Lisbonne. Mais François Vallejo reste un auteur à suivre.
mercredi 28 avril 2010 à 23h32
Alice-Ange, tu trouveras sur le site un billet sur Ouest, rédigé par Dédale, et un autre sur Groom, rédigé par mes soins (livre dans lequel Dédale n'est pas entrée malgré plusieurs tentatives). Je partage ta retenue sur L'incendie du Chiado, même si le roman est loin d'être sans qualité. Mais d'autres billets concernant les oeuvres de François Vallejo devraient être publiés très, très prochainement... A suivre, comme tu le dis !
jeudi 29 avril 2010 à 12h04
Un livre que j'avais beaucoup aimé. Et j'ai adoré Ouest du même auteur.
dimanche 2 mai 2010 à 00h09
Je te conseille également Groom, dans ce cas !