C’est un polar qui se lit comme un polar et en même temps un livre de science fiction qui se lit comme un livre de science fiction. Comme de juste on plonge dedans avec délectation et on n’a pas envie d’en ressortir avant la fin. On en tombe amoureux sans vraiment savoir pourquoi.
Dans un monde où les mouvements indépendantistes de tous poils ont fini par avoir gain de cause, les nations ont explosé en une multitude de petits noyaux plus ou moins indépendants les uns des autres. Comme de juste, les caciques et caïds de la pègre ont pris le pouvoir et dirigent tout ça de main de maître et de fer.

En plus de toutes les drogues que l’ont pourrait imaginer, il y a le câblage neural, cette interface qui vous permet de profiter des PAPIes ou des MAMIes. Les uns, Périphériques d’Apprentissage Intégré vous permettent sans effort d’acquérir un savoir-faire ou une compétence, faisant de vous un chirurgien ou un tueur compétent en un claquement de doigts. Les autres Modules d’Aptitude Mimétiques vous permettant d’être un autre, réel ou imaginaire, James Bond ou Jule César et de revêtir tous ses attributs et compétences.

Seulement voila ! Comme on est dans un monde désabusé et décadent, on peut aussi bien être Sherlock Holmes que le docteur Moriarty, Jésus, ou Charles Manson.

Seulement voila ! Il y a des réfractaires, comme Marid Audran – détective privé que n’aurait pas renié James Hadley Chase – qui, au mépris des préceptes du Coran, préfère l’alcool et la drogue, aux fantasmes virtuels d’une technologie dévoyée pour satisfaire les plus bas instincts de l’humanité.

Seulement voilà… dans le Boudayin, cet univers arabisant de moyen orient du futur revu façon années 50, où on s’attend à croiser Humphrey Bogart et Lauren Baccal, les choses ne vont pas toujours comme on le voudrait. Surtout quand un tueur plutôt sadique, têtu, câblé et nanti entre autres, des sales manies de Jack l’Eventreur, commence à semer la mort.

Il incombe alors à Marid Audran de coincer ce gars, et pour ce faire d’accepter le câblage et pire encore. Non pas qu’il en ait envie, mais Friedlander Bey, LE caïd du Boudayin fait des propositions qu’on ne peut pas refuser, surtout quand l’activité du tueur en question met son business en péril.

Avec ce résumé, tout est dit, on plonge à la suite de Marid Audran dans un monde baroque ou rien n’est tout à fait ce qu’il a l’air d’être. On suit ce clone désabusé qui s’approprie Nero Wolfe et Philip Marlowe et nous confie de temps à autre ses états d’âme. Ça se lit comme ça se raconte, avec un petit sourire au coin des lèvres. C’est aussi intriguant qu’un polar, aussi exotique qu’un bouquin de SF ; de ces croisements remarquables où ne subsiste que le meilleur des deux parents.

Le style est typiquement celui des polars de l’âge d’or, avec un rendu d’atmosphère très classique et des apartés avec le héros. Je finirais un jour par vous parler de la suite, Privé de Désert en attendant d’acheter le troisième opus, Le talion du Cheikh.

Hugues

Extrait :

La baraka : un terme arabe qu’il est fort difficile de traduire. Il peut signifier magie ou charisme ou la faveur spéciale de dieu. Des lieux peuvent l’avoir ; on visite des lieux saints, on touche des reliques avec l’espoir qu’en déteigne une partie de celle-ci. Les gens peuvent avoir la baraka ; les derviches, en particulier, croient que certains individus fortunés sont particulièrement bénis par Allah et sont, par conséquent, l’objet d’un respect particulier au sein de la communauté. Freidlander Bey a plus de baraka que toutes les châsses de pierre du maghrîb. Je ne saurais dire si c’était la baraka qui avait fait de lui ce qu’il était ou s’il était parvenu à la baraka en atteignant cette position et cette influence. Quelle que soit l’explication, il était bien difficile de l’écouter et de lui refuser ce qu’il demandait. « Comment puis-je t ‘aider ? » Lui demandai-je. Je sentis un vide en moi, comme après une immense capitulation.
« Je veux que tu sois l’instrument de ma vengeance, mon neveu. »


Gravité à la manque de George Alec Effinger - Éditions Denoël Présence du Futur - 320 pages