Ce texte est une sorte de biographie professionnelle de Gerard Mortier. Dans le récit s'insèrent de courts extraits d'entretiens avec lui (quelques photographies aussi), ainsi que des citations d'autres personnes ayant travaillé avec lui. N'ayant vu qu'une petite dizaine de spectacles d'opéras initiés par lui (je ne compte pas les reprises de productions appartenant au répertoire de l'Opéra ou empruntées à d'autres théâtres), je n'ai pas d'opinion a priori très formée sur le style Gerard Mortier. Le moins que l'on puisse dire est que cet ouvrage n'est pas très balancé ; on n'est pas loin de l'hagiographie (voir le sous-titre l'opéra réinventé).

On trouvera dans ce livre différents chapitres correspondant essentiellement aux années d'apprentissage, à son travail à la Monnaie (Bruxelles), au festival de Salzbourg et à l'Opéra de Paris (pour les toutes premières années seulement, l'ouvrage ayant paru en 2006). Un chapitre est consacré à sa méthode et on trouvera aussi un curieux chapitre à contretemps sur la Flandre.

Un des problèmes de ce livre discursif non exempt de répétitions est qu'il comporte de trop nombreuses anecdotes, insistant dans la plupart des cas sur des obstacles rencontrés par Gerard Mortier au cours de sa carrière. On s'y perd dans la chronologie vu que les dates de moult petits événements ne sont pas données. Les fonctions d'autres acteurs culturels (comme le chef d'orchestre Daniel Barenboim) au moment où ils entrent en scène ne sont pas convenablement expliquées. On est trop souvent dans le registre de l'allusion.

Du métier de directeur de théâtre, j'aurais aimé apprendre davantage. On saura surtout que Gerard Mortier est un bourreau de travail, abattant un labeur qui ailleurs mobiliserait toute une équipe. Au-delà des noms de metteurs en scène qu'il a fait travailler et de sa volonté de mettre tout au service de la musique, on ne saura pas tant de choses sur ses choix artistiques, au-delà de son déplaisir pour Puccini et de son intérêt pour la musique du XXe (notamment Janáček) et du XXIe (via des commandes, notamment auprès de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho et de l'écrivain Amin Maalouf). Du point de vue de l'esthétique des opéras, j'aurais aimé que ses choix soient inscrits de façon cohérente dans un cadre plus général permettant de s'y retrouver entre les univers si différents du Tristan und Isolde (Wagner) avec un fond vidéo de Bill Viola, de L'Elisir d'amore (Donizetti) mis en scène par Laurent Pelly, de la Luisa Miller (Verdi) mise en scène par Gilbert Deflo, de la Lucia di Lammermoor (Donizetti) mise en scène par Andrei Serban ou encore Die Zauberflöte (Mozart) dans la production gonflée de la Fura del Baus.

Bref, je ne suis pas très enthousiasme sur cet ouvrage qui ne satisfera même pas tous les lyricomanes. Cependant, cela se lit d'une seule traite et on peut se divertir avec quelques citations comme celle-ci : Il y a des stars qui ne conçoivent pas de circuler autrement qu'en limousine. À l'Opéra de Paris, chacun conduira désormais sa voiture..

Joël

Extrait :

La dramaturgie
C'est la bête noire de tous les adversaires de l'opéra à l'allemande : l'image même d'une superstructure lourde et abstraite qui vient se superposer à la réalité d'une œuvre. Pour beaucoup, cette théorie du concept consiste à définir un concept abstrait mais réducteur et à le plaquer sans nuances sur une œuvre : ça passe ou ça casse mais tant pis pour l'œuvre traitée. L'important est que s'impose la primauté du concept. Réussie une telle démarche, c'est rêver de faire entrer un éléphant dans une cabine téléphonique. [...]
Pour Mortier, le meilleur dramaturge est celui dont on ne sent pas la présence, mais qui parle par la clarté de son travail. Fondamentalement, il reste au service d'une œuvre qu'il ne doit jamais occulter, et non de ses propres conceptions ; mais il lui importe de réfléchir sur ce qu'une œuvre peut avoir à nous dire aujourd'hui et sur les moyens de faire passer ce message de la façon la plus éloquente. Ce n'est pas un travail solitaire : il doit se faire en collaboration avec les autres intervenants. Quand Mortier décide de monter Kát'a Kabanová à Salzbourg, un spectacle coproduit avec Toulouse et Bruxelles et repris ensuite à Bastille, il envoie son équipe (Cambreling, le chef, Marthaler, le metteur en scène, et Anne Viebrock, sa décoratrice et costumière attitrée) trois jours à Brno, la ville de Janáček. Ils en reviennent avec une image de HLM délabrée où se déroulera l'action.


Gerard Mortier, l'opéra réinventé de Serge Martin - naïve - 159 pages.