Il y a énormément à raconter à propos de cette histoire. Ne pouvant entrer dans tous les détails pour ne pas vous gâcher le plaisir du voyage, le suspense (car il y en a ! ), voici un petit résumé des trois histoires qui forment Polynesia. Le passé, le présent et le futur voguent chacun à leur rythme et bien évidemment se rejoignent.

Il y a 2000 ans, après un tsunami, Ta'aroa, à bord d'une grand pirogue de voyage, aidé par l'Image sacrée, cadeau des dieux, engage son peuple dans une quête hasardeuse, même extrêmement périlleuse. Il leur faut trouver une nouvelle île, leur nouveau Fuena pour s'installer. Mais où se trouve-t-elle, cachée dans le plus vaste des océans de la Terre.

Ainsi débute Polynesia, par le récit de ce long voyage vers l'inconnu. L'auteur nous présente ces intrépides voyageurs, confiants dans leurs divinités omniprésentes, leurs traditions, leur langue si musicale, leurs techniques de pêche et de constructions de ces frêles pirogues capables de naviguer dans les conditions les plus difficiles. Ils savaient déjà combien de Pacifique était loin d'être un calme océan.
D'emblée, on est conquit par les personnages. Ta'aroa et ses enfants, les autres membres de son peuple sont très attachants. On rêverait d'être à leurs côtés. On embarque donc sur la grande pirogue à double carène, le somptueux Toa Marama, un personnage à part entière dans cette histoire.
Ici l'absence d'une carte se fait sentir. Un atlas à proximité permet de mieux visualiser ce périlleux voyage, ainsi que celui d'Alpha et son époux.

Au temps présent, Alpha et son mari (auteur et narrateur) voguent sur leur voilier, le Toa marama, aussi, vont d'îles en lagons. C'est une véritable torture que de lire ces passages. Immanquablement, on ne rêve que de lagon bleu aux eaux transparentes. Je ne remercie pas l'auteur.
Le voyage en bateau d'îles en îles sur le Pacifique se fait à un rythme beaucoup plus lent que pour les deux autres récits. Cela accentue un peu plus la tension narrative. C'en est presque frustrant. Seul avantage, la description somptueuse de ces joyaux du Pacifique. On se demande souvent où cette navigation au calme va nous mener. Elle est vraiment nécessaire par son exploration du monde onirique.

Pour ce qui est du futur, l'auteur nous transporte au LI ème siècle (51ème), rien de moins. On y suit les pas d'AngKor, un Acom (agent communicateur), chargé de transporter des informations sur le peuple polynésien. Il habite les Nuages du Taureau, un des vaisseaux-lumières, enfant des huit premiers vaisseaux partis un jour lointain de la Terre.

Pour cette civilisation où la technologie est omniprésente, il faut un vocabulaire particulier. Au départ on prend peur mais on s'y fait très vite. En cas de doute, on peut se référer aux lexiques en fin d'ouvrage. J'ai trouvé cette partie captivante comme celle concernant le Passé. Celle du Présent l'était tout autant mais son rythme cassait parfois, à mon sens, la progression de l'intrigue. Mais comme les navigateurs bloqués par le Poteau noir, il faut prendre patience. Le vent revient au fil des pages.

Sur les vaisseaux-Lumière la technologie est sensée être une aide pour les humains. Les développements sur la mémoire, le cerveau, le temps, la quête d'Angkor vers des objets, vers cette histoire ancienne de la Terre et bien d'autres choses que l'on découvre sur cette civilisation du virtuel, tout cela titille notre curiosité et réflexion. Le plus étonnant est bien le RHET (Réseau Hyper Espace-Temps) ou système de télétransportation instantanée des iH (intelligence humaine) entre les vaisseaux-lumière. Le passage se fait nu et en un temps nul. La télétransportation est instantanée. Seul les iH peuvent utiliser le RHET. Toute chose dépourvue de conscience, comme un iA (intelligence artificielle) disparaît définitivement dans le RHET.

AngKor est un excellent Acom. Grâce à ses compétences reconnues, son intuition et sa capacité de mémoire hors du commun, il mène son enquête bien au-delà de ce qu'il était initialement chargé de trouver et de transporter. Il fera très vite le rapprochement entre les informations collectées sur les terres anciennes, plus spécifiquement sur le grand océan appelé Pacifique et ce qu'il a lui même découvert avant son voyage. Cela le rend dangereux. On craint que ses révélations mettent à mal toute l'organisation politique de la Confédération. Quelques personnes, iA ou iH donc on ignorera toujours l'identité, suivent de très près ses activités. Il est constamment sous surveillance. L'intelligence humaine d'AngKor va déjouer bien souvent les prospectives mathématiques de ces entités supérieures. AngKor est comme un pion sur un échiquier mais dont on ne peut pas prévoir les mouvements.

Comme on peut le supposer, Passé, Présent et Futur vont un jour se rejoindre car le Temps aime se jouer des êtres humains.

Polynesia, les mystères du temps est une palpitante saga sur l'extraordinaire voyage entrepris par quelques humains sur de formidables pirogues et la découverte des îles que l'on appellera plus tard, les îles polynésiennes.

Pour mieux comprendre ce mélange subtil des temps, de connaissances techniques, géographiques, il faut savoir que Jean-Pierre Bonnefoy est un scientifique. Docteur en électronique et en informatique, il est spécialiste en interprétation d'images et en intelligence artificielle. Le talent de l'auteur est d'avoir réussi à ce que toutes les informations d'ordre technique sur la mémoire, les ordinateurs et le virtuel très présentes dans la civilisation d'AngKor soient si bien rendues et absolument pas indigestes. Bien au contraire ! De plus, l'auteur est un passionné de navigation à voile et il vit à Tahiti. Cela rend très attrayant les passages de navigation sur les Toa marama.
Preuve en est avec Polynesia que quand un passionné se lance à raconter ce qu'il aime, le partage est clair, intéressant, pour ne pas dire fascinant.

Je vous recommande donc cette lecture de préférence pour des vacances, moment où l'on peut s'accorder de grandes plages de lecture.

Que les ti'i et le grand Ruahatu soient avec vous.

Dédale

Extrait :

Quand le pêcheur comprit que ces graines étaient en fait des graines d'îles, il pensa qu'il devait aller un peu plus loin. Il se dit avec juste raison que ce serait bien d'avoir deux archipels plutôt qu'un seul ! Il remit donc les deux qui restaient dans la coque marine.
Ils voguèrent encore un peu plus vers l'est et, quand ils perdirent de vue Huahine, le pêcheur reprit les deux dernières.
Il en lança une le plus loin qu'il put.
C'est ainsi que naquit Moorea.
Alors, il se rendit compte que la dernière graine était vraiment bien plus grosse que les autres. C'est pour cela qu'elle était la dernière ! Elle était restée coincée au fond de la coque. Comme elle était vraiment énorme, il eut du mal à la lancer plus loin que Moorea.
C'est ainsi que naquit Tahiti, plus grande que Moorea par la taille, mais petite sœur par l'âge.
Comme il pensait que la coque marine était maintenant devenue un objet sacré, il décida qu'elle devait retourner au fond de l'océan pour ne pas offenser les ti'i qui aiment bien que les choses restent là où elles doivent être. Aussi la jeta-t-il dans le grand moana, comme les graines.
Mais il n'avait pas vu que de minuscules petites graines étaient restées collées au fond du coquillage. Quand elles se répondirent dans l'eau, au gré de la fantaisie des vents et des courants, et probablement avec l'aide des ti'i, elles formèrent de plus petites îles, et c'est ainsi que toutes les îles Sous-le-Vent et toutes les îles du Vent virent le jour, grâce aux graines de Ta'aroa et un peu grâce à Vahine !
Par la suite, ils visitèrent toutes ces îles et les habitèrent.
Les descendants des descendants de Ta'aroa découvrirent un jour, beaucoup plus tard, que l'une des petites graines qui étaient restées dans la conque marine avait prodigieusement dérivé vers le soleil levant et était devenue la grande île la plus à l'est, celle « dont le nom est comme la pale des rames polynésiennes », Rapa Nui !
Pour honorer leurs ancêtres qui avaient si longtemps vogué sous le chemin d'étoiles, ils érigèrent sur ce pays perdu au milieu de l'océan de grands personnages à leur image qui, regardant l'horizon des cieux et non celui de la mer, resteraient, de siècle en siècle, les témoins éternels de la route.


Polynesia, les mystères du temps de Jean-Pierre Bonnefoy - Éditions Buchet Chastel - 712 pages