Enfin, presque gain de cause, car la mort de la caution scientifique du projet remet en cause la construction du bâtiment. La mort qui paraît accidentelle, mais les détails laissant penser à un meurtre sont nombreux. Et comme une asiatique, Dam-Van, vient d'arriver dans le village avec son cuisinier et sa servante, les villageois trouvent en elle une cible parfaite. Mais Nicolas Niel, architecte-décorateur en charge du projet, se prend d'amitié pour la belle asiatique, et fait tout son possible pour trouver le fin mot de cette énigme.

Pierre Véry est considéré comme l'un des inventeurs du roman de mystère, avec notamment Goupi Mains-Rouges ou Les disparus de Saint-Agil. Ici, il choisit pour cadre une petite bourgade, sortie de son imagination, et il profite de cette intrigue sur fond d'affaire immobilière pour dépeindre les mœurs de cette bourgade. L'arrivée Dam-Van, venue d'un pays lointain, l'Indochine, au moment même où deux accidents suspects ont lieu sur le terrain vague, est suffisante pour créer un climat de tension, que Véry décrit avec une grande efficacité. La rationalité des habitants est mise à mal, et la folie s'empare de chacun. Les premières à céder à cette folie sont les femmes, qui craignent que cette étrangère, à la beauté inhabituelle, ne leur pique leur mari. Heureusement, Dam-Van peut compter sur l'appui de certains habitants, dont Nicolas Niel et les médecins, tous fascinés par cette personnalité hors norme.

L'intrigue passe finalement au second plan, car on se moque un peu, finalement, de savoir si le professeur a été victime d'un accident ou d'un meurtre. Le vrai sujet du roman, c'est Neugate-sur-Touques. La vie tourne autour du bar-cinéma de Malissart, qui a des mots avec le maire à propos d'un film qu'il souhaite diffuser, mais les autorités censurent. On y découvre tous les jeux d'influence, notamment ceux des femmes de la bonne société qui, sous des masques de vertu, cachent une méchanceté inouïe.

L'écriture de Pierre Véry est sans fioritures. Il donne une grande place aux dialogues, et le rythme de l'intrigue est assez relevé. Mais le plus étonnant reste que ce roman, paru en 1943 et rapidement épuisé, traite d'un sujet très à la mode à l'époque, la dénonciation et la suspicion envers ceux qui sont considérés comme différents. Une courte lecture édifiante, qui peut donner une idée du climat de suspicion qui pouvait régner à l'époque.

Yohan

Extrait :

A l'approche de Xuan, une femme tenta de se dissimuler derrière la palissade du terrain vague. Mais, à sa taille, le cuisinier avait reconnu Mme Perchamp : elle était plus petite même que Dam-Van. Son visage pointu, ses façons vives et silencieuses faisaient songer à une  belette.
Le terrain vague vivait d'une vie sournoise, délictueuse. Il était plein de sons furtifs : chuchotements, glissements, passages d'ombre. On eût dit un lieu de complots, un rendez-vous de conjurés. Ce n'étaient que des amoureux attirés par la curiosité à cause des deux meurtres. La pensée du sang criminellement répandu là, si près, à deux reprises, devait ajouter du piment à leurs confidences, à leurs serments, à leurs caresses. Des bruits de baisers soulevaient doucement le silence...
A l'autre bout du terrain vague, Xuan croisa Mme Perchamp.
- Mademoiselle Dam-Van est-elle chez elle ?
- Oui, maître.
On dansait chez Malissart, et des rafales de rires s'échappaient de la salle de cinéma, où passait ce film comique qu'avait interdit le maire.


L'inconnue du terrain vague de Pierre Véry - Éditions Joëlle Losfeld - 180 pages