Les nouvelles réunies dans le premier acte - Ville lumière, ville ténèbres - ont pour point commun un langage cru, une écriture rythmée et des intrigues assez mouvementées : Avec Le chauffeur, Marc Villard, nous embarque dans le quartier des Halles aux côtés de Vania, jeune prostituée antillaise, pour une descente aux enfers règlementaire. Non Paris ne brille pas toujours de mille feux et les méchants ne sont pas toujours là où on les pense. Après cette mise en bouche pour le moins corsée, Chantal Pelletier (Le Chinois) nous invite à une dégustation inattendue dans les quartiers de Belleville et Menilmontant. Puis Salim Bachi nous propose une visite guidée du quartier latin et mêle habilement suspense et anecdotes historiques. Son personnage du Grand frère est assez fascinant  et j'ai pris beaucoup de plaisir à le suivre même si la fin m'a moins surpris qu'elle n'aurait dû. Enfin, avant l'entracte, Jérôme Leroy organise la disparition d'un agent des services secrets (Berthet s'en va).

Après ce démarrage sur les chapeaux de roues, l'apaisement relatif du deuxième acte - Libération perdue - est le bienvenu. Les textes ont ici un rythme plus lent et les protagonistes regrettent tous plus ou moins un Paris révolu. Ce sont sans doute ces textes-là qui m'ont le plus touchée. Laurent Martin construit sa nouvelle comme un tragédie : un héros qui revient sur les traces de son passé, un destin auquel il ne peut échapper, un amour impossible. Le texte mêle habilement narration classique et écriture théâtrale, joue avec les ellipse et les non-dits, jusqu'au dénouement final, fatal évidemment. Christophe Mercier déambule sur les grands boulevards une nuit de Noël, auprès d'un détective solitaire et désabusé ; l'auteur prend son temps pour planter son décor, l'intrigue avance par petite touche, et si le drame survient, on pourrait presque croire qu'il n'a été qu'une illusion dans une ville trop vieille et fatiguée. Mais Paris, ce sont aussi les cafés et ses serveurs. Jean-Bernard Bernard Pouy nous réserve alors une nouvelle à chute comme il en a le secret, sans effet de manches mais d'une efficacité redoutable (La vengeance des loufiats). Quelle est donc la source d'inspiration de ces écrivains ? Dominique Mainard tient peut-être une piste et signe un texte magnifique avec Sa vie en rose : son narrateur, apprenti écrivain, enquête sur un meurtre sordide ; sa rencontre avec un témoin capital ne mettra-t-elle pas un terme à ses désirs d'écriture ?

Le dernier acte - La société du spectacle - est sûrement celui qui m'a le moins marqué. Si le texte de Patrick Pécheront, Mémoire morte, m'a séduite par sa façon de jouer avec l'Histoire et les souvenirs, j'ai été assez déçue par les autres. Didier Daeninckx dont j'aime habituellement le travail, ne m'a pas convaincue avec sa Rue des degrés, que j'ai trouvé maladroite dans la construction et peu vraisemblable. Pas plus que Бесценный (précieuse) de DOA dont j'ai trouvé l'intrigue un peu téléphonée. Quant au récit d'Hervé Prudon, L'étranger, j'ai eu tellement à pénétrer son univers que je l'ai abandonné en cours de route.

Mais cette déception sur la dernière partie du recueil, n'ôte en rien le plaisir que j'ai eu à lire les autres textes et le deuxième acte est sans doute celui qui restera le plus longtemps dans mon esprit.

(d'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : J-M Laherrère)

Laurence

Extrait du Grand Frère de Salim Bachi :

Le Grand Frère était déjà passé à autre chose. Rachid en était resté à leur discussion à propos de Dieu et de ses adorateurs. Cela le troublait quelque peu. Si le Grand Frère avait raison, alors plus rien n'avait de sens. Mais le Grand Frère devait se tromper, c'est sûr.
« La rue de la paille. Drôle, non, comme les rues de Paris recèlent toujours un sens caché, une histoire nouvelle. Ici, on recouvrait la rue de paille pour que les escoliers puissent s'asseoir au sec pour suivre leurs cours. Toute la rue était recouverte de ces studieuses personnes. Elle était fermée à la circulation. Et si une charrette s'avisait de passer pendant les cours dispensés par les moines, son conducteur était rossé par les étudiants et son chargement renversé sur la chaussée. Pour éviter les bagarres, les autorités de la ville fermaient la rue avec des chaînes. Les cours débutaient le matin, après la messe. Comme la nuit, des clochards venaient dormir sur la paille, d'où l'expression "se retrouver sur la paille", il fallait les réveiller à coups de pompes avant de changer le fouarre pour les étudiants du Moyen Âge.
- Comment tu sais tout ça ?
- Les livres. Les meilleurs amis de l'homme. »


Paris Noir présenté par Aurélien Masson - Éditions Asphalte - 249 pages