L'intrigue de cette tragédie, à la trame typique de cette époque, est la suivante. Après avoir pris Médine, Mahomet, présenté comme un chef de guerre cruel et machiavélique, approche de La Mecque avec son armée. Le Mahomet de Voltaire proclame le droit de berner le peuple du moment que cela soit fait avec grandeur. Face à lui, s'oppose Zopire, shérif de la ville. Les deux enfants de Zopire, Séide et Palmyre, ont été enlevés en bas-âge par Hercide, pour le compte de Mahomet. On les retrouve plus tard esclaves auprès de Zopire, qui ne le sait pas. Lors du siège de La Mecque, Mahomet donne le choix à Zopire : tu revois tes enfants en échange de la ville. Mais Zopire ne cède pas à l'odieux chantage. Lui vivant, La Mecque ne tombera pas aux mains d'un tyran. Mahomet furieux et plein de haine, pousse Séide à tuer Zopire.

L'amour, le fanatisme, aveuglent sa jeunesse; il sera furieux par excès de faiblesse.

Et même si cette pièce semble être une attaque en règle contre la religion musulmane, Voltaire dénonce surtout le fanatisme, l'intégrisme religieux, tous les intégrismes religieux, tous les monothéismes. Il vise également l'intolérance de l'Église et les morts justifiées au nom du Christ. Il vise là Jacques Clément (moine dominicain assassin d'Henry III en 1589) ou Ravaillac (meurtrier d'Henry IV en 1610). Il le dit clairement dans la lettre d'accompagnement de sa pièce :

Mais quiconque fait la guerre à son pays, et ose la faire au nom de Dieu, n'est-il pas capable de tout ? Je n'ai pas prétendu mettre seulement une action vraie sur la scène, mais des mœurs vraies ; faire penser les hommes comme ils pensent dans les circonstances où ils se trouvent, et représenter enfin ce que la fourberie peut inventer de plus atroce, et ce que le fanatisme peut exécuter de plus horrible. Mahomet n'est ici autre chose que Tartuffe les armes à la main.

Voltaire était bien un homme des Lumières. « Si, après avoir eu en horreur la malheureuse obéissance de Séide, elle [une de ces âmes faibles] se dit à elle-même : pourquoi obéirais-je en aveugle à des aveugles qui me crient : haïssez, persécutez, perdez celui qui est assez téméraire pour n'être pas de notre avis sur des choses même indifférentes que nous n'entendons pas ? Que ne puis-je servir à déraciner de tels sentiments chez les hommes ! L'esprit d'indulgence ferait des frères, celui d'intolérance peut former des monstres.»

Ah, Monsieur Voltaire, que je vous aime !! Tout cela me donne plus encore envie de lire les articles du philosophe sur le Coran parus entre 1748 et 1787, notamment ses Essais sur les mœurs. De quoi s'ouvrir un peu plus l'esprit et lutter contre tous les fanatismes.

On devient sacrilège alors qu'on délibère.
Loin de moi les mortels assez audacieux
Pour juger par eux-mêmes, et pour voir par leurs yeux.
Quiconque ose penser n'est pas né pour me croire.
Obéir en silence est votre seule gloire. »

Dédale

(Du même auteur : Candide ou l'Optimisme)

Extrait :

Mahomet à Zopire (Acte II, scène V)

Si j'avais à répondre à d'autres qu'à Zopire,
Je ne ferais parler que le Dieu qui m'inspire.
Le glaive et l'Alcoran dans mes sanglantes mains,
Imposeraient silence au reste des humains.
Ma voix ferait sur eux les effets du tonnerre,
Et je verrais leurs fronts attachés à la terre :
Mais je te parle en homme, et sans rien déguiser :
Je me sens assez grand pour ne pas t'abuser.
Vois quel est Mahomet ; nous sommes seuls, écoute :
Je suis ambitieux ; tout homme l'est sans doute ;
Mais jamais roi, pontife, ou chef, ou citoyen,
Ne conçut un projet aussi grand que le mien.
Chaque peuple à son tour a brillé sur la terre,
Par les lois, par les arts, et surtout par la guerre.
Le temps de l'Arabie est à la fin venu.
Ce peuple généreux, trop longtemps inconnu,
Laissait dans ses déserts ensevelir sa gloire ;
Voici les jours nouveaux marqués pour la victoire.
Vois du nord au midi l'univers désolé,
La Perse encor sanglante, et son trône ébranlé,
L'Inde esclave et timide, et l'Égypte abaissée,
Des murs de Constantin la splendeur éclipsée ;
Vois l'Empire romain tombant de toutes parts,
Ce grand corps déchiré, dont les membres épars
Languissent dispersés sans honneur et sans vie ;
Sur ces débris du monde élevons l'Arabie.
Il faut un nouveau culte, il faut de nouveaux fers ;
Il faut un nouveau Dieu pour l'aveugle univers.
En Égypte Osiris, Zoroastre en Asie,
Chez les Crétois Minos, Numa dans l'Italie ;
À des peuples sans mœurs, et sans culte et sans rois,
Donnèrent aisément d'insuffisantes lois.
Je viens après mille ans changer ces lois grossières.
J'apporte un joug plus noble aux nations entières.
J'abolis les faux dieux, et mon culte épuré
De ma grandeur naissante est le premier degré.
Ne me reproche point de tromper ma patrie ;
Je détruis sa faiblesse et son idolâtrie.
Sous un roi, sous un dieu, je viens la réunir ;
Et pour la rendre illustre, il la faut asservir.


Mahomet le prophète de Voltaire - Éditions Christian Bourgois, collection Titres - 105 pages