En ce temps là, la ségrégation planait comme un mauvais démon. La haine raciale gangrénait tout. Hillary Jordan présente les McAllan, propriétaires terriens blancs et les Jackson, fermiers noirs travaillant sur les terres des McAllan. Parmi les bons, on compte Henry l'aîné des McAllan, crédule, très très terrien et sa femme Laura. Il y a aussi Jamie, frère d'Henry, ancien pilote durant la seconde guerre mondiale, charmeur patenté tant il a souffert des continuelles vexations du vieux paternel, le dénommé Pappy. Voici pour les McAllan.

Du côté des Jackson, on se prend de suite d'affection pour Hap, le père et Florence sa femme. C'est une sacrée bonne femme qui ne s'en laisse pas compter. Florence est bonne à tout faire pour soutenir Laura dans ses tâches ménagères et sage-femme dans ce coin perdu du delta. Dans cette campagne où la vie est rythmée par les travaux des champs et les crues du fleuve, tout va pour le mieux puisque tout le monde reste à sa place. Les blancs maîtres de tout et les noirs, travaillant comme des forçats, gardant la tête baissée, leurs pensées, frustrations et espoirs sous silence.

Mais le beau vernis va craquer avec le retour de Ronsel, l'aîné des Jackson. Ronsel est beau, grand, intelligent. Il a surtout goûté à la liberté de pensées, le respect de soi quand il était engagé en Europe dans la compagnie de choc des tanks de Patton. Comme Jamie, il a fait la guerre de 39-40. Comme Jamie, il en est revenu avec les failles que personne ne peut soupçonner voire comprendre. Les cellules de soutien psychologiques n'existaient pas en ce temps-là. Ce que Ronsel a connu durant son enfance a explosé dès qu'il a passé l'Atlantique. Les hommes et femmes du continent l'ont traité comme un homme et non comme une chose infecte, un animal. Par conséquent, son retour au pays est des plus rudes. La réalité du Mississippi se rappelle durement à son souvenir dès qu'il croise le chemin du Pappy McAllan et ses amis.

Cette histoire est racontée de manière chorale. H. Jordan donne la parole à tous les protagonistes. Ces différents points de vue illustrent bien toutes les difficultés qu'il y a à vivre sous un régime ségrégationniste. Tout se lit très bien. Les pages tournent, tournent. Pourtant un constant sentiment de manque ne m'a pas quitté durant cette lecture. Rien n'a fait pour que j'adhère complètement. Il est dit que l'auteur s'est inspirée de tout ce qu'elle a pu entendre durant sa jeunesse dans le Sud. Est-ce pour cela que l'on a eu droit à presque tous les clichés rebattus sur le sujet ? Il y a aussi des situations tout à fait hallucinantes. Comme si, même dans les années 40 au fin fond du Mississippi, des enfants pouvaient enterrer le vieux, mort "dans son sommeil", au bout du champs de coton sans que personne n'y retrouve à redire. Passons. De plus, le vieux est un parfait salaud, soit. Mais on a connu pire et cela aurait d'ailleurs rendu l'histoire un peu plus crédible. Je n'ai pas aimé le parti pris de faire parler les Jackson petit-nègre. Ils sont noirs et ils n'ont pas pu aller à l'université. Certes, l'auteur garde le parlé du delta. Mais une étrange impression malsaine ne m'a pas lâchée. Une sensation gluante, poisseuse, comme le fond de l'air dans le delta de cette époque.

Il me semble que l'auteur est restée trop en surface des situations, des caractères de ses personnages. J'aurai aimé plus de profondeur. C'est trop bien "pensant'. Trop à l'américaine à mon goût avec son happy-end à la fin (enfin, ça dépend pour qui). En somme, c'est un premier roman à lire pour la plage. Attendons de lire son second roman pour voir si l'auteur gagne en profondeur ou bien si elle reste dans les histoires qui se lisent bien mais que l'on oublie tout aussi bien.

Dédale

Extrait :

« Home again, home again, jiggety-jig », dit la comptine. Moricaud, jus de réglisse, mal blanchi, négro. S'en était allé défendre son pays pour découvrir au r'tour que rien n'avait changé ohé ohé. Les Noirs continuaient à voyager à l'arrière des bus, à emprunter les portes de service, à cueillir le coton des Blancs, à demander pardon aux Blancs. On avait répondu à leur appel, on avait fait leur guerre, mais ils s'en foutaient : pour eux, on continuait à n'être que des nègres. Et les soldats noirs qui étaient morts n'étaient que des nègres morts.
Là, chez Tricklebank, j'avais bien eu conscience que je naviguais dans des eaux dangereuses et, malgré ça, je n'avais pas su la fermer ne serait-ce que le temps qu'il fallait pour ne pas sombrer. Je m'étais comportée exactement comme mon copain Jimmy quand on faisait notre instruction. À l'époque, je n'arrêtais pas de lui dire qu'il ferait mieux de s'écraser s'il avait deux grains de bon sens, mais il hochait la tête et me répondait qu'il préférait se faire tabasser plutôt que de se conduire en nègre péteux. Et il s'est bel est bien fait tabasser, une fois en Louisiane et deux fois au Texas. La dernière fois, les gars de la police militaire locale l'ont tellement congé qu'il a décroché dix jours à l'infirmerie, n'empêche, il s'est jamais écrasé. Si on n'avait pas embarqué, je crois qu'ils auraient peut-être fini par le tuer. Quand je le lui ai dit, il s'est marré et m'a balancé : « Ça m'aurait plu de les voir essayer. »

Mississippi
Mississippi de Hillary Jordan - Éditions Belfond - 365 pages
Traduit de l'américain par Michèle Albaret-Maatsch.