L’histoire de fond, c’est celle d’un homme – le narrateur – qui vit avec sa mère, vieillissante et qui ne supporte plus de vivre avec elle au quotidien avec tout ce qu’une personne en fin de vie a de difficilement supportable. Avec Lydie Salvayre, on partage ses dégoûts, son ras-le-bol, sa pitié, sa culpabilité de ne pas en faire assez, puis d’en faire trop, de ne pas faire ce qu’il faut en tout cas, bref, sa névrose. Caractéristique principale de ce narrateur : pour essayer de s’en sortir, il philosophe. Et pour cela il choisit Descartes et notamment son Discours de la méthode.
Résultat ? Néant. Il a beau s’enfermer dans sa chambre pour ne pas entendre les jérémiades de sa mère et se concentrer le philosophe de la raison, rien n’y fait. Comme il le comprendra à la fin du livre :

Parce que je me suis essayé comme un con, pendant des mois, à appliquer sa méthode à la con. Je me suis essayé pendant des mois à chasser, par décret, les pensées lancinantes que m’inspiraient maman. Je leur disais intérieurement : Cassez-vous ! Et je m’évertuais, dans le même mouvement, à penser à Monica Bellucci, à ses lascivités, à ses pulposités, à ses rondeurs. Cependant mes pensées allaient là où bon leur semblait, et, le plus souvent, vers l’abîme.

La suite c’est une rencontre qui va bouleverser sa vie. Pourtant Mme Mila n’est pas dans le périmètre habituel de Descartes : voyante, astrologue, devin, elle n’a rien de cartésien. Ses premières paroles laissent notre narrateur pantois : « Je suis en relation télépathique avec le passé et je vais mettre en mouvement mon énergie fluidique pour visiter le vôtre. C’est ma façon, Monsieur, de résister au libéralisme. » Et de partir ainsi à la recherche des ancêtres de notre narrateur, notamment un poète andalou de Cordoue, avec du sang arabe et juif. Apparemment sans rapport avec les malheurs de notre narrateur qui ne supporte plus sa mère en fin de vie. Et pourtant. Mme Mila va aider notre personnage principal à se retrouver, à « remonter le cours des significations et des causes, depuis les jours affreux que vous vivez jusqu’au jardin des commencements. »
Alors, le narrateur, déçu par la méthode de Descartes commence une longue lettre au philosophe qu’il critique sévèrement : « Puisque nous avons en commun, Monsieur, d’avoir été persécutés, vous par le grand Louis, les faux savants et les Jésuites, moi par ma mère, qui ne trouve jamais d’autre satisfaction que dans mon harcèlement »…

Il y a encore plein de choses dans ce génial roman. L’histoire de Perrine, la fille de Mme Mila, qui va garder la vieille Maman et lui redonner un souffle vital en écoutant Laura Fabian, l’histoire de MOISSY, cette banlieue qui refuse l’arrivée des Roms, où les esprits s’avèrent petits et étroits, sur un sujet qui revient tout à fait d’actualité. Il y a aussi du drame dans La méthode Mila : Perrine se fera agresser et violer par un inconnu, la controverse municipale sera houleuse et Mme Mila sera apostrophée. Mais notre narrateur osera pour la première fois prendre la parole en public et dénoncer les méchancetés locales.

Et Descartes dans tout çà ? Descartes est complètement à côté de la plaque. Parce qu’il a voulu nous faire croire que tout ( la vie, l’économie, l’amour..) n’est fait que de raison. Malheureusement des Cartésiens ont pris le pouvoir et nous nous retrouvons en plein libéralisme sauvage, dit Lydie Salvayre.

Car l’histoire de ce héros narrateur est une métaphore de la vie moderne : terrorisé par une mère acariâtre, conditionné dans ses désirs par une société rivée sur la consommation, privé de pensées et de compréhension de sa propre histoire, l’être humain vit sous le règne de Descartes.

Or la vie est ailleurs - Lydie Salvayre nous le redit - : dans l’âme, dans l’amour, dans la création, dans la rencontre… Véritable hymne à la libération intérieure ( on sait que Lydie Salvayre est aussi psychanalyste ) cette Méthode Mila est une méthode qu’on suivrait bien volontiers, bien plus que celle que le philosophe cartésien nous a laissé en héritage.

Du même auteur : Hymne

Alice-Ange

Extrait :


Je passe chacune de ces trois pistes au filtre de ma réflexion. Je pèse le pour et le contre. Je fais des évaluations comparatives. Laquelle de ces trois issues, me dis-je, peut me conduire à une vie sinon heureuse du moins potable ? Mais je ne sais que répondre. Car toutes sont également possibles et toutes également effroyable. Toutes également imaginables et toutes également inimaginables.
J’ai beau me mettre le cerveau à l’envers, pas une, Monsieur, ne prévaut. Et toutes se bousculent dans ma tête comme dans un débat télévisé. Je suis devant ce qu’en philosophie on nomme, je crois, une aporie. La nuit noire. Je m’y noie. C’est le mieux. 

La méthode Mila
La méthode Mila de Lydie Salvayre - Éditions du Seuil - 228 pages