Le narrateur, dont on ne sait ni le nom ni le prénom, ne s'est jamais foulé au travail mais cela ne l'empêche pas d'avoir un avis sur tout et n'importe quoi, surtout quand il a éclusé quelques bières. Ce qu'il a remarqué, c'est que sa moitié, Karine, est aussi sensible aux alexandrins, qu'il compose comme il respire, qu'à la monnaie sonnante et trébuchante. Les deux ont le grand avantage de la mettre dans de très bonnes dispositions pour les choses de l'amour et du sexe. Et comme notre héros vient de se faire mettre à la porte de la baraque, il doit trouver séance tenante quelque oseille s'il veut pouvoir réintégrer l'appartement.
Du coup, ce con qui se pavane au café est une aubaine inespérée.  D'autant que le con tient moins bien la boisson que notre narrateur et que ce dernier voit là une occasion de se remplir les poches facilement.

Le plan est sommaire mais efficace : 1) attendre que le con s'endorme, 2) pénétrer chez lui, 3) fouiller les tiroirs pour trouver les billets, 4) retourner conquérir sa belle. De l'étape 1 à 3 tout se déroule sans souci… mais voilà que le Con se réveille…

Franz Bartelt s'est visiblement beaucoup amusé en écrivant ce polar. Son protagoniste a le langage imagé du voyou parisien, mais juste ce qu'il faut pour que cela ne sonne pas faux. Persuadé d'être un type intelligent, il ne cesse de se fourvoyer et on s'amuse de ses réflexions hautement philosophiques et littéraires. Monsieur a de l'expérience, Monsieur, « en tant que type basé sur l'idée de gauche » a des principes, Monsieur est surtout un grand lâche qui trouve mille et une excuses à ses réactions de froussard.

La situation totalement rocambolesque dans laquelle il se retrouve le met face à ses incohérences et donne lieu à des scènes hilarantes. J'ai trouvé cependant que le roman aurait été encore plus savoureux avec une dizaine de pages en moins : en effet, si au départ on s'amuse du « parlé » et des monologues internes du protagoniste, sur la longueur le charme s'émousse et ça devient un poil lassant.  Heureusement, le dénouement, inattendu, donne un nouvel éclairage au récit et permet quelques fous rires rétrospectifs.

(D'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : Pascal)

Du même auteur : La belle maison, Le bar des habitudes, Je ne sais pas parler, Parures

Laurence

Extrait :

Moi, quand j'avale, j'arrête entre trente et quarante. Toujours de la bière. Pas de mélange. Trente ou quarante bières, il y en a assez pour voir le monde en couleurs, je crois. Plus, ça serait du vice, de la drogue, une mauvaise pente. L'alcool, mieux vaut ne pas s'y habituer. En tant que basé sur l'idée de gauche, je suis de la matière qui a pris conscience Dieu, créature du ciel, descendant les fleuves impassibles dans l'arche de Noé. Des légendes. En tant que matière grise qui a pris conscience d'elle-même, je suis sensible à l'humidité. Je gonfle comme du bois. Je flotte pareil. Mais, prudent et responsable, je m'interdis de naviguer par gros temps. Au-dessus de trente bières, le risque de coup de vent n'est pas négligeable. Très peu pour moi. Je suis un partisan de la raison raisonnable.

Le jardin du bossu
Le jardin du Bossu de Franz Bartelt -  Éditions Série Noire Gallimard – 186 pages