Ce roman d'Amitav Ghosh est le premier volume d'une trilogie. L'action se passe à la fin des années 1830. Mr Burnham a fait fortune grâce au commerce du pavot qui est en train de s'effondrer du fait de la volonté chinoise d'y mettre un terme. Avant de servir des fins militaires contre les Chinois, le bateau devra faire un aller-retour à l'Île Maurice pour y déposer des travailleurs sous contrat (coolies).

Pendant les premières centaines de pages, on voit se développer alternativement les différentes histoires des futurs passagers de l'Ibis. La vie de Deeti et de sa famille dépendait de la culture et de la transformation du pavot, une monoculture imposée par les Britanniques. La mort de son mari la conduira à des choix radicaux, comme de s'en aller par delà l'océan. Fuyant la perspective d'un mariage arrangé qui lui déplaît, Paulette montera clandestinement à bord du bateau. Neel, un propriétaire terrien (zamindar) qui jusque là faisait de bonnes affaires avec Mr Burnham a tout perdu et se retrouve même mis aux fers dans la perspective d'un emprisonnement à l'Île Maurice. Un marin américain, Zachary Reid, a acquis une place de plus en plus importante dans le commandement. Mais il est métis. Si on l'apprenait, cela pourrait aller mal pour lui. Il est aussi l'homme qui est au contact d'un équipage constitué de lascars aux origines incertaines et à l'inquiétante réputation...

Je dois bien avouer que c'est le premier livre d'Amitav Ghosh dont je puisse dire que je l'aie apprécié. Avant celui-ci, j'avais lu Le chromosome de Calcutta et Les feux du Bengale. Tous ces livres sont des page turners. On n'a pas envie de les lâcher. Cependant, l'histoire est souvent tellement invraisemblable qu'à la fin, on peut avoir l'impression d'avoir lu le livre en vain.

Dans ce roman, je n'ai pas ressenti ce malaise. Bien sûr, quelques coïncidences et la multiplicité des personnages aux destins quelque peu exceptionnels augmentent le caractère romanesque de l'ouvrage, mais il n'y a pas à mon goût d'excès en la matière. De nombreux détails ont manifestement fait l'objet de recherches fouillées de l'auteur (notamment sur le vocabulaire maritime, la transformation du pavot et les manières des Britanniques). Ainsi, on est transporté à une autre époque et on n'a pas de raison flagrante de ne pas croire en l'histoire.

Je suis donc très satisfait de ce livre que j'ai dévoré en à peu près trois jours (beaucoup moins que ce que j'escomptais eu égard au poids et à la place que ce pavé monopolisait dans ma valise lors de mon dernier voyage). Néanmoins, à ce jour, seul le premier volume de la trilogie a paru. Il n'est pas à exclure que la trilogie dans son ensemble me déplaise pour les mêmes raisons que les autres romans de l'auteur m'ont déplu. Je ne voudrais donc pas faire preuve aujourd'hui d'un excès d'enthousiasme prématuré.

Joël

Extrait :

Récemment, Mr Burnham avait installé un nouveau système pour rafraîchir la salle à manger. Connu sous le nom de thermantidote, l'appareil consistait en une hélice recouverte d'un épais tapis de fibres odorantes de khus. Les hommes autrefois employés à tirer les cordelettes des punkahs se consacraient désormais au fonctionnement du thermantidote : tandis que l'un deux mouillait le tapis végétal de la machine, un autre faisait tourner l'hélice avec une poignée, forçant un courant d'air constant à travers le tapis trempé. Ainsi, grâce à l'évaporation, la machine était censée créer une brise merveilleusement rafraîchissante. Telle était en tout cas la théorie — mais en temps de pluie le thermantidote ajoutait beaucoup à l'humidité, faisant transpirer tout le monde encore plus que d'habitude. Il produisait aussi un terrible grincement qui couvrait souvent les conversations. Mr Burnham et Mr Doughty étaient parmi les rares individus capables de se faire entendre sans effort par-dessus la machine — ceux dotés de voix plus faibles devaient hurler, ce qui augmentait encore la moiteur régnante. Dans le passé, assise à côté de colonels sourds et de comptables bègues, Paulette avait souvent eu l'occasion de déplorer l'introduction de la nouvelle machine, mais aujourd'hui elle était ravie sans réserve de sa présence puisqu'elle lui permettait de parler avec Zachary sans crainte d'être entendue.

Un océan de pavots
Un océan de pavots
d'Amitav Ghosh - traduction de l'anglais par Christiane Besse - Robert Laffont Pavillons - 587 pages