Le récit est présenté comme le manuscrit post-mortem de Richard. Son frère, Robert, à l'origine de cette publication, doute lui-même de la véracité des évènements relatés et se demande si la maladie n'est pas la seule explication aux délires de Richard.

Franchement, son histoire est invraisemblable. J'ai beau me forcer, je n'arrive pas à y croire. En la faisant publier, j'espère que quelqu'un d'autre y croira. En ce qui me concerne, je ne puis accepter qu'un aspect, mais je l'accepte complètement : pour Richard, ce n'était pas de la fiction. Il croyait, sans le moindre doute,  avoir vécu cette aventure dans ses moindres péripéties.

Pendant le premier tiers du roman, Richard va enquêter pour mieux connaître cette Élise qui le fascine tant et trouver le moyen qui lui permettra de la retrouver à 73 ans de distance. Matheson en profite pour nous faire partager différentes théories sur les voyages dans le temps mais surtout pour nous plonger dans cette atmosphère un peu surannée et irréaliste.
La deuxième partie se déroule en 1896. Richard aurait donc réussit son voyage mais le plus difficile reste à faire. Comment aborder Élise ? Comment ne pas se trahir ? Tout est si différent de son époque. En 1973, on peut sans aucun problème s'adresser à une jeune femme sans mettre en péril son honneur, mais en 1896 tout est beaucoup plus compliqué. Et pourtant, au premier regard, il sait qu'il ne s'est pas trompé.

Le jeune homme, la mort et le temps n'est pas un roman de SF, comme pourrait le laisser supposer la collection, mais bien un récit fantastique qui renoue avec la tradition romantique du XIXème siècle. Le voyage dans le temps n'est qu'un prétexte pour nous raconter une histoire d'amour impossible et tragique et ce n'est donc pas un hasard si le narrateur se retrouve projeté à la fin du XIXème. On se souvient des nouvelles de Gautier, Mérimée ou Villiers de l'Isle-Adam qui mettaient en scène des amours contrariés, des héros qui défiaient la mort et le temps pour retrouver l'être aimé. Matheson revendique ici clairement cette filiation et s'amuse, comme ses prédécesseurs, à instiller le doute chez son lecteur : ce que l'on nous donne à voir relève-t-il du surnaturel ou de la folie du narrateur ? Matheson ne tranche jamais, et nous laisse le soin de conclure.

Une dernière précision sur le style, qui pourra au départ, agacer certains. Richard a pris l'habitude d'enregistrer ses pensées sur un petit dictaphone. Mais au fil des jours, et parce que l'expérience l'exige, il prend son stylo et relate par écrit son expérience. Le récit alterne donc en permanence entre un style oral relâché, voir télégraphique et une écriture plus soignée et poétique, jusqu'à ce que cette dernière prenne définitivement le pas sur l'autre.

Si vous cherchiez un roman de SF pure sur le voyage dans le temps ou si vous aimez Matheson quand il navigue dans la Twilight Zone, celui-ci vous décevra sûrement. Il n'en reste pas moins que Le jeune homme, la mort et le temps est un très beau roman et si vous aimez la littérature fantastique de la fin du XIXème siècle, vous ne devriez pas être déçu par cet émouvant hommage aux maîtres.

(D'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : Essel et Cachou)

Du même auteur : Je suis une légende, La maison des damnés, Nouvelles tome 1 (1950-1953), Nouvelles tome 2 (1953-1959)

Laurence

Extrait :

Je suis hanté par ce visage.
J'ai été le contemplé à nouveau; je suis resté planté devant le vitrine pendant tellement longtemps qu'un homme qui entrait et sortait périodiquement d'un local réservé au personnel commença à me regarder d'un air de se demander si j'allais prendre racine.
Elise McKenna. Joli nom. Visage exquis.
Comme j'aurais voulu être assis dans la salle de théâtre (une photo m'informa qu'il s'agissait de la salle de bal) à la regarder jouer. Elle devait être magnifique dans son rôle.
Qu'est-ce que j'en sais ? Elle jouait peut-être très mal. Non, je ne le crois pas.
Il me semble avoir déjà entendu prononcer son nom. N'aurait-elle pas joué dans Peter Pan ? Si c'est bien celle que je pense, elle était une comédienne de tout premier plan.
En tout état de cause, c'était une comédienne de toute beauté.
Non, c'est plus que de la beauté. C'est l'expression de son visage qui m'obsède et me subjugue. Cette expression douce et sincère. Comme j'aurais voulu pouvoir le rencontrer.

Le jeune homme, la mort et le temps
Le jeune homme, la mort et le temps de Richard Matheson - Éditions Folio SF - 330 pages
Traduit de l'Américain par Ronald Blunden