Aurore Lefèvre est une jeune femme sublime.
Elle n'a que vingt six ans mais est déjà  un Maître-Orchestreur mondialement connu sous le surnom de l'Ange Blond (der Blonde Engel).
De plus, elle est membre de la Légion Impériale et c'est peut-être à tout le souci. Elle est en constant conflit avec l'autorité et est considérée comme un électron libre qu'il faut mater.
Elle est également la meilleure éducatrice de Biônes connue. Et c'est ce qui la qualifie d'office pour cette mission : sauver l'Impératrice, et l'Empire par la même occasion.

L'Ange Blond est le premier roman adulte de Laurent Poujois. Et pour une première, il ne s'en tire pas mal du tout.
Il propose au lecteur une uchronie napoléonienne sur fond de thriller rythmé avec une héroïne plus qu'attachante.

L'univers créé prend racine dans l'Empire de Napoléon Ier, puis se développe au gré des pages grâce aux têtes de chapitres citant des extraits de l'Encyclopédie Impériale. On y apprend au fur et à mesure comment ont évolué les sciences et techniques pour arriver au présent de l'histoire, avec une technologie bien supérieure à celle que nous connaissons dans notre univers. D'ailleurs, certaines applications font tout simplement baver. On croise bien sûr des noms connus de l'époque napoléonienne, quelques grandes figures, comme Victor Hugo, qui ont marqué l'Histoire et sont ici réintégrés très intelligemment pour donner une profondeur à l'univers. D'ailleurs il faut louer le talent de l'auteur qui "reprend" un poème de Hugo de manière splendide (réécriture d'un passage extrait des Châtiments - V, 13)

L'héroïne est une jeune femme pleine de fougue, parfaite, à en croire l'auteur… Indomptable et indomptée, elle mène le lecteur à un train d'enfer pour suivre son enquête dans un récit à la première personne qui ne laisse pas un instant de répit. Mais qui ne lasse pas non plus. Tout est savamment calculé pour faire de l'ouvrage un véritable page-turner et le lecteur avance avidement dans le roman, pressant l'ouvrage jusqu'à la dernière page.
Cet état est accentué par l'écriture de l'auteur, très visuelle. Cinématographique. Les scènes sont si bien décrites, l'action s'enchaîne si logiquement et avec une fluidité si maîtrisée que c'est aussi agréable et facile à lire que de regarder un film. D'ailleurs, une adaptation serait certainement du plus bel effet, pour peu qu'elle soit fidèle.

Ce roman est pour l'instant un ouvrage unique. L'intrigue se clôt comme il se doit en fin d'ouvrage. Mais l'auteur n'a pas su résister à titiller son lecteur en plaçant une ultime pique dans la dernière réplique, qui pourrait laisser présager d'une suite avec la même héroïne. Avouons qu'elle sera attendue avec impatience et savourée comme il se doit !

En parlant de savourer, plusieurs passages auraient mérités d'être pris en citation tellement la plume est épique et magistrale. Cependant, celui qui a finalement retenu mon adhésion est la description de la manière dont Aurore orchestre sa musique. C'est un petit bijou que je vous laisse goûter. Et si il vous plaît, surtout, aucune hésitation : il faut lire le reste !

Cœur de chene

Extrait :

Franz leva la tête vers la cage. La plainte des violons descendait en spirale jusqu'à la piste de danse, éteignant les conversations comme des bougies soufflées par les bourrasques tournoyantes qu'évoquaient ces premières mesures.
— Russe, murmura-t-il en frissonnant.
— Borodine, affirma sa voisine qui souriait les yeux fermés.
Un grondement monta doucement derrière les violons, un orage lointain obscurcissant le ciel, puis une basse puissante prit le relais, faisant osciller les têtes autour de Franz. Une mélodie lancinante jouée sur deux cordes vint se greffer sur ce rythme puis une incroyable voix de gorge féminine saisit les âmes.
— Une jyrau, murmura Franz-Olivier, accompagnée au luth dombra.
Sa voisine le regarda avec étonnement.
— Elle chante la création du monde, les bienfaits et la beauté qu'Allah puisa dans son sac pour les répandre sur la terre, le peuple kazakh offensé de n'avoir reçu que la steppe en partage, Allah raclant le fond de son sac et jetant ce qui lui restait sur cette morne étendue, lacs de turquoise, montagnes enneigées, prairies d'émeraude et de fleurs, forêts profondes et murmurantes.
La voix s'éteignit et la basse marqua une pause, deux secondes pas plus, mais assez pour que chacun prît conscience du silence qui régnait à présent dans l'Arena. Instinctivement, Franz-Olivier retint son souffle jusqu'à ce que la basse ait relancé le rythme, plus rapide, suivi de la mélodie d'un oiseau, puis la course d'un cheval. La foule se laissa emporter par cette chevauchée irrésistible et toutes les pistes de l'Arena se mirent à onduler. La jyrau reprit son chant guttural.
— Et maintenant ? demanda la voisine de Franz-Olivier. Que dit-elle ?
— Elle parle des femmes fières aux boucles d'argent et aux bracelets d'or, de l'aigle planant sur l'immensité, des indomptables cavaliers kazakhs, les hommes libres, qui galopent sur la steppe...
Franz-Olivier se tut. La jeune femme avait quitté le comptoir pour se fondre dans la foule mouvante. Il ferma les yeux et se laissa emporter sur les steppes de l'Asie Centrale. il y passa une minute, une heure ou une vie, puis la musique s'emballa dans un galop désespéré. La jyrau chantait maintenant la mort des hommes libres.
— Elle parle de la dernière chevauchée du général Kassim sur les Steppes de la Faim, murmura Franz pour lui-même. Elle parle des hommes libres et de leurs montures fauchés par les monstres d'acier, des bombes qui labourent les champs, les villes et les corps, qui sèment des germes empoisonnés sur la terre Kazakhe…
Franz-Olivier ne traduisit pas les derniers sanglots de la jyrau. Les instruments refluèrent par vagues successives, remplacés par des sons à peine audibles, sifflement du vent, cri d'un aigle, pleurs d'un enfant, crépitement d'un feu. il n'eut qu'à fermer les yeux pour trouver l'image d'un pays martyrisé, hanté par une mélodie mélancolique jouée sur les deux cordes d'un luth dombra traditionnel. Puis ce fut le silence.

L'ange blond
L'Ange blond de Laurent Poujois - Éditions Mnémos - 336 pages