St Brieuc, Rouen, Laval, Brest… depuis quelques jours, dans les villes bretonnes et normandes, un meurtrier en série laisse derrière lui des cadavres auxquels il a coupé l'index de la main droite. Kowalski, le flic, est sur sa trace. Comme un chien de chasse qui ne lâche pas sa proie, il fait feu de chaque petit indice. Mais bientôt, il se retrouve dans une impasse : celui qu'il est censé poursuivre et arrêter est mort depuis un an.  Il s'appelait Piquier, et c'était un pauvre type détruit par le système économique. Quelques mois avant son suicide, il avait un boulot, une femme, des enfants. Et puis le rouleau compresseur de l'entreprise est passé par là : un licenciement, une dépression, un suicide.

Le récit alterne entre le point de vue du flic Kowalski et celui du meurtrier Piquier (ou de celui qui se fait passer pour Piquier). Les premières lignes du roman donnent tout de suite la tonalité : un savant mélange d'horreur et de poésie (cf. extrait à la fin du billet) qui crée un malaise hypnotique et fascinant chez le lecteur. On est ensorcelé par ce Piquier qui se comporte plus en zombie qu'en être humain. Qui est-il ? Schizophrène ? Marionnette aux mains d'un être démoniaque ?

Même s'il ne se rappelait plus grand chose concernant ce qu'il était avant, Piquier employait à la lettre une procédure relativement stable de pensée. Une pensée qui n'était plus la sienne, à proprement parler, mais une pensée quand même, une manière d'apposer des schèmes et des concepts, de plaquer sur le monde une grille centrifuge de jugements avant toute conclusion hâtive, un pointilleux manège de moralité – si tant est que le bien et le mal puissent tournoyer ensemble.

Pour contre-balancer les passages parfois éprouvants dans la description des sévices, le point de vue de  Kowalski nous ramène dans une réalité rassurante, familière : indices, preuves, paperasse, problèmes avec la hiérarchie, etc. Sauf que la découverte de la mort de Piquier et un voyage au Mexique vont faire basculer l'enquête aux limites du fantastique. Qui poursuit-on ? Un meurtrier ou un fantôme ?  Même  Kowalski ne sait plus très bien après quoi il court.

Ce roman noir m'a fascinée à plus d'un titre : d'abord, l'intrigue en elle-même est très bien menée et les personnages particulièrement intrigants que sont Piquier ou le flic, font qu'il est difficile d'interrompre sa lecture.
Mais ce qui m'a le plus captivée c'est le style d'Emanuel Dadoun et tout ce que son roman dénonce derrière l'apparence d'un simple polar. Comme je le disais en début de billet, Emanuel Dadoun mêle les genres : Lazarus tient à la fois de l'horreur, de la poésie, du fantastique mais aussi de l'écriture du réel et du social. Derrière le destin de Piquier, il y a celles de milliers d'hommes broyés par les villes et les industries. Des morts-vivants pris par le train train du quotidien, que l'on ne voit plus et qui s'ignorent eux-mêmes. Alors si les dernières pages versent un peu trop dans la caricature et si j'aurais aimé plus de retenue, l'épilogue nous rappelle avec justesse que nous croisons chaque jour des Piquier en puissance.

Laurence

Extrait :

Quand il avait coupé le doigt de sa victime, elle était morte depuis longtemps. Elle était morte dans la matinée en jetant un dernier regard plein de reflets apeurés en direction du plafond de l'hôtel. Elle l'avait supplié, pourtant. C'était la faute à Rennes, à Brest, c'était la faute à toutes les villes qu'il avait traversées. Bientôt il aurait une belle collection de doigts ; il disposa devant lui les deux qu'il possédait déjà comme des crayons de couleur, des stylos un peu mous, de gros fusains de métacarpes. Il allait être forcé de dessiner, encore et encore. Mots sanguinolents peints sur les murs. Il avisa un auriculaire au tendon sectionné. Ongle noirci.

Lazarus
Lazarus d'Emmanuel Dadoun - Éditions Sarbacane collection eXprim'noir - 246 pages