Là-haut vers le nord, c'est un recueil de treize nouvelles organisées autour des quatre points cardinaux et ayant tous une thématique. Est-peine, Sud-ruine, Ouest-course et Nord-retour.

Né avec Une Dent est une jeune fille de 17 ans qui traine son mal être dans les rues de la réserve. Elle ne se remet pas de la mort d'un loup dont elle est tombée amoureuse. Un jour il a été piégé. Pour mieux se rapprocher de sa dépouille, elle cède aux avances de Mickael, le professeur blanc perdu dans ce pays de nul part, et propriétaire de la peau du loup. Être ado dans un réserve indienne au fin fond du Canada, il y a de quoi déprimer, difficile de savoir quoi faire de sa peau, de son corps.

La Reine du Bingo travaille au Palace et notamment à tirer les boules du grand bingo. Ce jeu rameute le ban et l'arrière ban des réserves, des blancs du pays, de la frontière pour gagner le gros lot. L'auteur pointe là l'impact du jeu sur la population locale. Le bingo est pour les indiens vu comme un moyen de s'en sortir financièrement, de ne pas être totalement dépendant des maigres aides sociales versées par l'État. La peine de la Reine du Bingo est la perte de son mari Ollie, mort naturellement ou pas à la suite à une chute d'arbre qu'il élaguait. Ollie était contre l'ouverture du Palace et l'installation des casinos dans les réserves. Mais il faut bien vivre quand on a deux enfants à charge.

Avec La faute de Jenny Two Bears, le registre est un peu plus amusante. L'auteur y raconte le retour d'un groupe de musique Punk, constitué de 4 sœurs. 4 bonnes femmes ayant choisi la musique pour raconter leur quotidien, la condition des indiens, le ras-le-bol des promesses fumeuses des politiques sauf que il n'est pas évident de trouver du temps pour répéter les morceaux entre deux grosses, les maladies de gosses et son boulot. Le jour où elles doivent monter sur scène pour le concert de la fête nationale - Jenny n'a pas tout dit aux vieux du Conseil -, elles n'ont jamais eu autant le trac face aux spectateurs venus de toute la région.

Au Sud-Ruine, avec Langue peinte et Les hommes ne demandent pas, ce sont les ravages de l'alcool, le manque de travail qui sont pointés. Et dans La marche de l'ours, Dink croit qu'il peut se transformer en animal. C'est surtout un gosse, sans la moindre famille proche ou éloignée pouvant le guider. Difficile situation dans un pays où tout le monde tombe toujours au coin d'un chemin sur un membre de sa famille. Il a fait une mauvaise rencontre. Les personnages de ces trois nouvelles ont tous fait une mauvaise rencontre ou en tout cas pas celle qui aurait pu les tenir debout.

Ouest-course. J. Boyden nous montre combien parfois les indiens retrouvent une dignité, la force d'un guerrier. C'est ce dont rêve Kumamuk (nom donné à de petits papillons). Noah a 8 ans. Il ne songe qu'à devenir catcheur et un grand guerrier, aussi fort que le Chef Tempête rencontré, avec la complicité de son grand-père, lors d'une prestation dans la réserve. C'est nettement plus intéressant que les sermons du prêtre aux côtés de ses parents. Avec détermination et tel un fier indien, Noah-Kumamuk va montrer ce dont il est capable en montant sur le ring.

Dans un style toujours aussi prenant, loin du mélodramatique, l'auteur porte un regard triste mais lucide, sans complaisance aucune sur la situation vécue par les indiens. Il ne se voile pas la face. Il dénonce clairement le danger des cadeaux des windigo, les blancs. L'éducation, les pensionnats tenus par des religieux avec leur cohorte d'esprits obtus (Les enfants de Dieu), les brimades, sévices corporels et psychologiques et sexuels (Joe Cul-de-Jatte contre la Robe Noire), le changement d'alimentation trop riche en sucre, l'alcool (La légende de la Fille Sucre), le jeu (La reine du Bingo), le progrès technique comme des barrages électriques qui vont noyer des parts immenses des territoires indiens (Abitibi Canyon), porter atteinte au mode de vie traditionnel (Le vieux), aux croyances des locaux.

C'est beau, instructif, avec des personnages plus attachants les uns que les autres. C'est du Joseph Boyden ! Encore une lecture à recommander et à partager.

Dédale

Extrait :

Quand il avance, ses gestes sont lents, comme s'il marchait sous l'eau ou contre une bourrasque : c'est peut-être pour ça qu'il se débrouille si bien dans les bois. Ma mère disait que Gitchi-Manitou n'a jamais créé un être sans le doter d'un talent particulier : le talent de Francis, c'est de connaître les voies du bush. Il approche un orignal ou un caribou par-derrière  avant que la bête ait remarqué sa présence, il lui touche pratiquement le cul. Et je me rappelle une chose dingue que j'ai vue un jour d'hiver, en chassant : Francis qui cavalait parmi une horde de caribous comme s'il en faisait partie. Les bêtes ne bronchaient pas, comme on tolère un ami envahissant. Dink peut rester dans les bois des jours entiers. Il trouve son chemin en silence parmi les plus épaisses broussailles, cueillant au passage des plantes et des baies pour se nourrir  et il repère les bêtes avant que les chasseurs les plus aguerris ne sachent de quoi il retourne. Il a un don, Dink, mais dans une culture à l'agonie. Autrefois ce talent-là aurait valu tous les trésors de la terre  aujourd'hui, il ne rapporte que quelques centaines de dollars la semaine, lâchés par des Yankees qui montent du Michigan ou du Minnesota. Dans les bois, Dink n'a plus rien d'un gosse ingrat : c'est un maître.

Là haut vers le nord
Là-haut vers le nord de Joseph Boyden - Éditions Le livre de poche - 316 pages