Quelques jours plus tôt. Passila vient de débarquer à Ludovia. Il vient de la grande ville où il a fui de douloureux souvenirs et l'ennui du centre de tri. Cette mutation il l'attendait depuis longtemps :  les tournées, les rapports privilégies avec les habitants, etc. Rien de comparable avec l'anonymat de la grande ville. Mais dès son arrivée, Passila se rend compte que son intégration n'aura rien d'évident et que les villageois lui cachent tous quelque chose. Plus les jours passent et plus Passila s'inquiète pour sa propre vie.

À partir d'une thématique classique – l'étranger qui débarque dans une communauté isolée et repliée sur elle-même – Alain Beaulieu réussit à créer une ambiance oppressante et fascinante.
En situant son action dans un tout petit village reculé et coupé du reste du monde (seul le passage d'un livreur, une fois la semaine, permet de joindre la grande ville), l'auteur joue la carte du huis clos à ciel ouvert. Certes, tout le monde est a priori libre et pourtant nul ne peut s'échapper.

Le village de Ludovia, sorti de l'imagination de l'auteur, nous laisserait croire que cette histoire pourrait se passer n'importe où ailleurs dans le monde. Pourtant, Alain Beaulieu imprime profondément son écriture en Amérique du Sud. Surprenant, le nombre fois où j'ai oublié que l'auteur était francophone et où j'étais persuadée de lire un auteur colombien ou chilien. Il y a dans le phrasé d'Alain Beaulieu quelque chose de Garcia Marquez ou de Sepulveda, un rythme particulier qui rend palpable la moiteur de l'atmosphère.

En choisissant Passila comme narrateur, Alain Beaulieu nous met dans la peau du naïf, de l'ignorant. On se doute que les villageois sont loin d'être des enfants de cœur, mais l'on est réduit à des supputations, ce qui bien évidemment entretient un suspens grandissant.

Le préambule de quelques pages nous donne les éléments clés de cette tragédie. Et pourtant, impossible de se détacher de ce récit une fois la lecture entamée. Mais laissez Passila vous expliquer ce qui a mené au chaos…

(D'autres avis, ailleurs dans la blogosphère : La ruelle bleue, Brigitte)

Laurence

Extrait :

Dans un coin, deux vieux jouaient aux échecs. Je me suis assis de l'autre côté, j'ai déposé mon sac vide sur une chaise et j'ai attendu qu'on vienne prendre ma commande. Mais je ne sais trop par quel coup du sort, mon corps s'est soudainement dématérialisé pour devenir translucide. Je suis resté assis dans ce soda une vingtaine de minutes sans que personne ne m'adresse la parole. Les vieux déplaçaient leurs pions en silence, émettant parfois un léger grognement pour saluer le coup de leur adversaire; la caissière comptait la monnaie de son tiroir caisse avec application; et la serveuse était devenue sourde et aveugle devant mes appels de service.
Je suis donc sorti du soda avec mon petit bonheur de postier et ma soif inaltérée.

Le postier Passila
Le postier Passila d'Alain Beaulieu - Éditions Actes Sud - 185 pages