Alors une fois n'est pas coutume, je vous sers la présentation de l'éditeur. Elle m'aidera à tenir ma langue et mon enthousiasme.

Roman noir, polar médiéval, ce livre est une immersion dans l'univers de la banque, du commerce et de l'usure pratiqués entre autres par les puissants banquiers cahorsins au XIII° siècle. C'est aussi une descente vertigineuse au cœur d'une famille dans laquelle chacun - et peut-être surtout chacune - a quelque chose à cacher, où la révélation de secrets jusque-là profondément enfouis pourrait bien provoquer la pire des catastrophes. Mais si La chair de la Salamandre est un roman noir, au dénouement aussi surprenant que sordide, c'est également un récit toujours drôle, riche d'ironie et d'humour (noir évidemment), qui nous fait parcourir les rues de cités opulentes et dangereuses et nous emporte au long des rivières redoutables qui menaient les gabarres, souvent chargées de vin, vers Bordeaux et l'Atlantique.

Si l'intrigue de départ est assez simple - j'ai trouvé très vite l'identité du commanditaire de tous ces surprenants meurtres - elle est tout de même pleine de mystères car il est rare que tous les éléments (air, eau, terre et feu) soient réunis et qu'ils tuent chacun leur tour.

Difficile de vous détailler tout ce que vous apprendrez sur cette bonne ville de Cahors du XIIIème siècle et sur les évolutions du droit canon comme séculier relatif à l'usure - droit extrêmement changeant au fil des intérêts pécuniaires des dites autorités civiles et surtout religieuses. Les lecteurs ayant suivis des cours d'histoire du droit vont se souvenir de beaucoup de choses. Les autres en apprendront tout autant. Vous verrez ensuite votre banquier autrement.

Difficile également de vous parler de l'humour dans lequel l'auteur a pris un malin plaisir à plonger sa plume pour nous croquer cette histoire et ces personnages. Et quels personnages ! - franchement pas piqués des vers. Entre l'Évêque de Cahors plus retors que Maître Bertrand de Vers, dit La Salamandre, usurier de son état mais cible du "Messire", homme toujours masqué, le Diable en personne et le Lombard Matteo Conti concurrent constant et astucieux, le lecteur est déjà bien servi. Pour autant, il ne faut pas oublier les autres membres de la famille de Vers à laquelle il faut ajouter le commis Doumenc et l'homme de confiance, Arnault Albas. Une jolie troupe que voilà ! Il est des secrets qu'il est préférable de ne jamais voir à la lumière du jour. Que dire aussi de cette paire incroyable d'agents du guet, les dénommés Mord-Boeuf et Pasturat, plus idiots qu'il n'est possible d'imaginer. Ces deux là, c'est Laurel et Hardy tombés très tôt dans le chaudron de la bêtise. L'auteur s'en est donné à cœur joie, mais toujours avec sérieux dans son écriture, pour notre plus grand plaisir.

Je ne peux vous donner ici tous les traits d'humour impertinent, truculent à souhait ; toutes ces expressions à l'ancienne si extraordinaires tant elles sont imagées, vraiment gratinées ; toutes les loufoqueries, les quiproquos qui parsèment ce roman désopilant. En tout cas, je peux vous assurer que vous passerez un excellent moment de lecture, partagé entre vos cogitations pour élucider les meurtres et les grands éclats de rire qui vous prendront par surprise au détour d'une page. Dire que j'ai adoré, dévoré ces pages est un doux euphémisme.

Mon seul et unique regret, ne pouvoir partager plus encore cette lecture, parce que c'est tellement bon que c'est inracontable !! Mon plus grand plaisir, celui de vous inciter à la lire. Vous m'en direz des nouvelles.

Dédale

Du même auteur : La relique, L'os de frère Jean, Le vol de l'Aigle, Oradour-sur-Glane, aux larmes de pierre, L'assassinat du mort

Extrait :

Tranche-Tripe, sérieux comme une pucelle devant son premier amant, désigna le plus grand des quatre hommes : « Celui-là, c'est Tape-Buisson. Sa manière est de cogner sur la tête jusqu'à ce que même la mère ne puisse reconnaître le fils. Con comprenoir est peu près aussi ouvert qu'un coffre d'usurier, c'est te dire ! » Assurément peu susceptible, le routier de la sorte présenté sourit de sa large bouche et salua Rince-Fût d'un hochement de tête. Il avait en effet un regard à vous faire douter de l'existence de la matière. « Le vieux maigraillon, là », enchaîna le tavernier, « c'est Huc la Relique, inutile de t'expliquer, il ressemble assez à un os rongé ! Mais il use de l'arc comme personne et crève un œil à cinquante pas ! » Il se tut, l'allusion à un œil crevé lui faisant remonter la bile à la gorge. L'autre salua aussi en s'inclinant légèrement, et le gabarrier eut peur un instant qu'il ne se brisa en deux… Se ressaisissant, Tranche-Tripe se tourna vers le troisième homme, à sa gauche : « Lui, on le surnomme le Moine. C'est ce qu'il fut avant de se laisser aller aux penchants de la chair. - Eh bien ! Il n'est point le seul parmi les moines ! » intervint Rince-fût, pour dire quelque chose. Et il récolta du tavernier une moue dubitative. « C'est juste… Sauf que ses penchants à lui sont plutôt de l'ordre de la cascade et penchent tout droitement. Il viole, peu lui importe le sexe, ensuite il joue du poignard. - Je n'aime point le gâchis », fit le Moine d'une voix de catafalque. « Ma première était une moniale fort jolie de la communauté de Saint-Augustin ! Ma deuxième était un homme… C'est le hasard. » Abasourdi, Rince-fût sentit la salive devenir caillou dans sa bouche. Il acheva d'un trait sa pinte entamée et, déglutissant avec peine, en réclama une nouvelle.

La chair de la salamandre
La chair de la Salamandre de Jean-Louis Marteil - La Louve Editions - 397 pages