Mais retournons à Philippe Besson. On retrouve bien évidemment le héros de En l'absence, le jeune Vincent de L'étoile. Le jeune homme de la bonne aristocratie, bien en vu dans les salon où il a rencontré le grand Marcel Proust avec lequel il s'est lié d'amitié, est inconsolable de la mort d'Arthur, fils de sa gouvernante. Arthur a disparu trop tôt sur une ligne de front de la Première guerre mondiale.

De courts chapitres de quelques pages seulement, en phrases courtes - La douleur ne permet pas de s'étendre -, Philippe Besson raconte le cheminement de Vincent. pour lutter contre le deuil, l'absence, le dégoût de toute autre vie. Vincent choisit de traiter sa douleur en fuyant à travers le monde, à pied puis par mer. Il part vers des ailleurs : l'Italie, l'Afrique, l'Abyssinie sur les traces d'un poète fulgurant jusqu'au nouveau monde des États-Unis. Et parce qu'il faut bien nourrir ce corps devenu presque inutile, le travail manuel abrutissant est tout aussi satisfaisant pour ne plus sentir son coeur battre dans le vide laissé par l'être aimé.

Toujours j'étais ramené à toi. Toujours me revenaient les images du temps d'avant, le bonheur. C'est terrible, le bonheur. Quand on y a goûté, impossible de faire comme si on ne savait pas.

Et puis un jour, son ancienne vie le rattrape à New-York. Sa mère le demande. Mais n'est-il pas encore trop tôt pour affronter les lieux des souvenirs intenses ? C'est avec un regard froid, détaché sur le nouveau Paris que Vincent retrouve. Tout a changé depuis la guerre : sa relation avec sa mère, représentative d'un monde en passe de disparaitre totalement, une mère qui ne voit en lui qu'un héritier, l'effervescence de la nouvelle vie parisienne pleine de bruits, d'excès, de plaisirs divers, de jazz importé des States, cette course effrénée à s'étourdir pour tenter d'oublier les séquelles des années de la Grande Boucherie.

Au milieu de cette effervescence, Vincent rencontre Raymond Radiguet, jeune romancier dont le Tout Paris parle et se dispute la présence. Les deux hommes, sans partager les mêmes sentiments, se comprendront tout de même. Raymond sera même la petite étincelle qui redonnera goût à la vie à Vincent, lui permettre un retour possible parmi les hommes. Car Raymond est un être à part.

Il y a des êtres dotés d'une grâce spéciale, d'un aura, qui les singularise, les détache du commun des mortels.

Et comme d'habitude, cette histoire est juste, forte, sobre, pleine de pudeur. C'est du Philippe Besson sans fioritures, sans mots de trop. A croire que l'auteur a pris tous les traits de Vincent de L'Étoile. Il est vrai que parfois le silence est tellement plus éloquent qu'un fleuve de mots. L'auteur va à l'essentiel, celui de rendre la douleur pourtant si violente, dévastatrice. Retour parmi les hommes est un roman lumineux comme Ph. Besson sait en écrire mais également un tantinet frustrant tant on aurait aimé resté plus longtemps avec notre héros, en savoir un peu plus sur son Raymond Radiguet, tant sa personnalité est enflammée. Vincent de l'Étoile n'est-il voué qu'aux rencontres incandescentes, si intenses qu'elles brulent tout ? On ne l'espère pas pour lui.

Au fil des ses ouvrages, nul ne peut nier maintenant que Ph. Besson est imbattable :-) pour déceler et exprimer les désespoirs, la perte de repère, la nostalgie, les sentiments les plus profonds.

A lire évidemment.

Du même auteur : En l'absence des hommes, Son frère, L'arrière-saison,Un garçon d'Italie, Les jours fragiles, Un instant d'abandon, Se résoudre aux adieux, Un homme accidentel, La trahison de Thomas Spencer
sans oublier l'interview exclusive de l'auteur, ici

Dédale

Extrait :

Et, pour moi-même, je résume : il est issu de la classe moyenne alors que je suis né avec dans la bouche une cuiller en argent, il provient de la banlieue et moi du seizième arrondissement, il est un fils et un frère tandis que je ne suis plus relié à la notion même de famille que par un fil ténu, le battement de coeur d'une femme qui ne voit en moi qu'un héritier, le gardien d'un temple, il a déjà publié un livre et moi, je n'ai rien fait, il est en train de conquérir Paris où je fais figure de créature exotique. Ces différences favoriseront-elles notre entente ou, au contraire, précipiteront-elles notre séparation ?

Il dit : "Est-ce qu'un jour tu parleras ? " Et je baisse les yeux, non par timidité, mais par sauvagerie (j'ai si peu parlé au cours des sept dernières années). Je baisse les yeux en souvenir d'Arthur et de Marcel qui, eux aussi, désespéraient de mon mutisme, et m'invitaient à m'exprimer, attendant probablement des aveux qui m'auraient coûté, espérant que je leur témoignerais de la tendresse en retour de celle qu'ils me prodiguaient. A la fin, ils ont eu raison de se montrer patients. A l'un et à l'autre, j'ai fini par tout dire. Devant eux, je me suis mis à nu. Cela me demande du temps, de la confiance, un abandon. Il me semble que, devant Raymond, je pourrais me mettre à nu. Ils sont peu nombreux, ceux dont j'ai pensé cela.

Il dit : "Ce n'est pas grave. Je t'aime aussi pour ce mystère, cette part inatteignable." Je saisis à la volée l'expression "je t'aime", elle me foudroie, même si, bien sûr, elle est générique, générale : je sais qu'elle désigne une affection en train de naître, et rien d'autre. Tout de même, depuis quand ne l'ai-je pas entendue ? Pour être plus précis, existe-t-il une autre personne qu'Arthur qui l'ait employée ? Non.

Retour parmi les hommes
Retour parmi les hommes de Philippe Besson - Éditions Julliard - 213 pages