Si l'idée de départ, ces lettres de réclamations de personnages célèbres de la littérature adressées à leurs auteurs respectifs m'a enchanté au point de me plonger dans leur lecture, j'en ressors assez désappointée.
Pour vous présenter l'ouvrage, il est plus simple de vous livrer le Manifeste des 24, ou petit texte de la quatrième de couverture. J'ajoute en références de quelques auteurs de certains courriers

Holà ! Trop c'est trop, messieurs nos auteurs ! Trop de pépins, trop d'avanies, toujours à nous persécuter, toujours prêts à nous estourbir. Et que je te poignarde, te guillotine, t'empoisonne, te fusille, et que tu meurs d'amour trahi. À celui-ci la chasteté à perpète (Jean Valjean), à celle-là les plus sales débauches (la Juliette du Marquis de Sade). Tous les deux, là-bas, au piquet sous cet arbre ! (Vladimir et Estragon dans En attendant Godot de Beckett). Toi tu seras sans toi, vagabond sur des béquilles, ça te fera les pieds (Molloy, S Beckett). Toi, ton pot au lait, tu vas voir (Perrette de La Fontaine), toi ton camembert, gaffe à ton bec (vous aurez reconnu l'oiseau noir), et toi la vieille, une médaille en chocolats pour cinquante ans de boulot, et toi la belle, cent ans au dodo (Blanche-Neige et ses sept nains amoureux transis)… et toi, toi… Sauf que, chers auteurs, c'en est fini de vous esbaudir à nos dépens car nous avons pris la plume, et quand vous lirez les lettres de vos créatures, vous n'y reconnaîtrez plus vos petits tant nous nous serons, nous les vingt-quatre, émancipé(e)s, et tant pis si ça vous défrise, et tant mieux si ça décoiffe, olé !

Effectivement, ça décoiffe. C'est franchement sans queue – enfin si et même trop d'ailleurs – ni tête. Ça décoiffe pas mal vu le nombre de têtes coupées, guillotinées (celle de Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, celle de Mersault dans L'étranger de Camus) qui roulent comme des boules de bowling, le sang coule à flots un peu partout et ça déshabille beaucoup. Les hormones et autres testostérones s'échauffent allégrement. Sans être prude, c'est franchement trop et cela gâche le plaisir que l'on aurait à lire ces lettres. Et malgré toute la compassion éprouvée à l'égard de ces malheureux personnages si malmenés, j'ai très vite sauté des pages pour en finir rapidement.

Le point positif de cette affaire est que cela donne furieusement envie de revenir au texte d'origine. A moi, donc, un retour ou une découverte de Beckett, Stendhal, Les Evangiles, Victor Hugo, la Zazie de Queneau, Flaubert ou Les mémoires d'un âne de la Comtesse de Ségur. C'est déjà ça.

Dédale

Extrait :

Zazie à Raymond Queneau

Mon cher Raymond,

Tintin pour le Métropolitain que tu me l'auras mis en grève à peine avais-je posé le pied sur le pavé de la capitale, moi qui ne rêvais que de le prendre, tellement je m'en contrefichais de ces flopées de monuments qu'on dirait du carton-pâte que le Parigot il regarde avec sa mine de papier mâché. Le Métropolitain, putain ! Vlà où qu'elle est ma devise, où qu'il se quintessenciait mon désir, cent fois que j'en avais étudié la carte, en suivant du doigt toutes les lignes multicolores qui sinuent, et toi, Raymond, tu me la raptas ma Ratp, me réduisant à monter dans le taxi de ce con que je sais même plus son nom, ce charlot qu'était un pote à mon oncle Gabriel, mon oncle qu'était une tante, Tata Grabrielle que j'aurais dû l'appeler, plutôt que Tonton, sans doute que ça t'amusait de me bordéliser la différence des sexes qu'est si importante à l'orée de l'ère pubère, tous les psychanalices te le diront.
Et pourquoi que d'après toi, gros malin, j'y tenais tant à y descendre dans le Métropolitain, sinon because c'est underground et que donc, dans la perspective de Sigmoon Fred, avec ses livres que toi tu sais même pas les titres : Mouise et le monothéisme, Balèze dans la civilisation, Mets ta psychologie, et que donc, dis-je, en tant que c'est du souterrain c'est comme qui dirait du ça, tu vois : du ça, alors que leur Tour Eiffel et leur Notre-Dame et tutti cantiques sûr et certain qu'il dirait Fred que c'est du surmoi, et alors le moi il est coincé en sandouiche et moi la petite provinciale je voulais plonger direct dans le sous-moi qu'est l'autre nom du ça, dans le royaume souterrain, dans le dédale des voies et le ferraillement des rames, même que peut-être dès que j'aurais été dedans, assise sur la banquette en bois, j'aurais senti que loin qu'on roule à l'horizontale à dix ou douze mètres sous terre, ou alors c'est que ma métropolitaine rame à moi elle a déserté son rail immémorial pour s'ouvrir sa propre voie, pour s'ouvrir une ligne nouvelle et surnuméraire dans ce multicolore lacis des lignes qui sinuent, que dis-je ? Qui tels mes deux Z de Zazie ziguezaguent, dans l'undergronde intramuros parisien, s'que tu comprends ?

Chers auteurs
Chers auteurs... de mes jours infortunés de Jacques Géraud - Hugo & Cie - 153 pages