Variations sibériennes sont des mots adressés à sa mère. Des notes prises lors d'un voyage à bord du transsibérien, en route vers Vladivostok. Ces variations sont voyage dans l'espace et le temps, en un entrelacement de poèmes de différents auteurs. Ont embarqué avec elle, Ossip Mandelstam, russe, juif et bagnard sur ordre de Staline, Anna Akhmatova, Serge Wellens, Paul Celan et même Blaise Cendras et bien d'autres. Leurs mots pour soutenir ses pensées à sa mère disparue, des contes de ce grand espace blanc, pour faire lentement son chemin de deuil, un chemin qu'elle sait d'avance qu'il sera long.

Ce sera long. Il y a des tâches vouées à l'inachèvement.

Ces variations sibériennes sont organisées comme ces notes, ces pensées qui nous viennent lors d'un long voyage, où l'esprit déambule, saute d'une idée, d'une image à l'autre toujours reliées par un secret lien.
En longues phrases faites de suite d'adjectifs, de description du paysage sibérien, de la taïga, des mots accrochés les uns au autres comme des wagons d'un long train vers… le loin.

En Sibérie, ce n'est pas que l'on soit loin de tout, en fait – on est au cœur du loin.

Avec Kaléidoscope ou Notules en marge du père, j'ai retrouvé l'écriture de S. Germain comme je l'ai découverte au temps de Jours de colère ou Le livre des nuits.
Ce kaléidoscope est une très bonne image pour ces petits textes, ces notules pour un portrait en différents points de vues d'un père tout de douceur, bonté, Un homme, un père riche de ses rêves d'enfants, son amour des roses, du désert, de son émerveillement devant la basilique de Vezelay, riche de ses propres parents. Un père conteur à la voix envoûtante que S. Germain qualifie joliment

Mais s'il fut orpailleur du langage, il n'en devint jamais orfèvre. Le plaisir et la jouissance des mots l'ont emporté chez lui sur le souci de perfection. L'or qu'il a toujours aimé chercher n'est pas de métal, il est plutôt cet or humide qui lui dans la chair des fruits ou dans les flaques de boue au soleil, cet or léger qui vivre sur le corps des abeilles.

Un monde sans vous, un monde plein de pudeur et d'amour filiale. Et si ce monde-là ne vous attire pas vraiment, il reste toujours ce voyage à travers cette mystérieuse et immense Sibérie qui, vaut à lui seul la peine d'être effectué avec l'auteur.

Du même auteur : Hors Champ, Éclats de Sel, Jours de colère, Petites scènes capitales

Dédale

Extrait :

Ma mère, à ton insu somnambulant en Sibérie où, faute de savoir te composer un tombeau musical ou poétique, je grappille des impressions, des lambeaux de visions, des poignées de bruits, comme des matériaux épars. Parmi ces brisures, se trouvent des vers extraits de poèmes. Ainsi ceux-ci, écrits par Arséni Tarkovski :

« Le monde autour peut gronder / Mais j'entends,
bien plus intense,
Le froufrou, le pas léger, / La vraie voix de mon silence.

O papillon sur la neige, / Ma mémoire est un tourment.
Les mots en vain je les cherche, / Seul m'emplit un tintement. »

En vérité, je ne cherche même pas les mots, je ramasse ceux que je trouve en chemin. Je les pose de-ci, de-là, petits cailloux qui esquissent la possibilité d'un tombeau. Et pourquoi d'ailleurs devrais-je en composer un ? L'espace sibérien t'offre un magnifique, immensément ouvert. Respire, ma mère, respire au loin la beauté de l'espace, la fraîcheur de l'air, l'odeur des feux décorce et de la terre humide, et reçois encore le salut de ces trois vers d'Arséni Tarkovski.

« Nous sommes toujours déjà comme au bord de la grève
Et je suis de ceux-là qui tirent les filets
Quand passe un banc d'immortalité. »

Le monde sans vous
Le monde sans vous de Sylvie Germain - Editions Albin Michel - 130 pages