A Salem, rien ne va plus. Ce village du Massachusetts est comme un chaudron bouillonnant près à déborder depuis que l'on vu des jeunes filles danser la nuit en pleine forêt. Dans ce village situé aux confins des terres connues, en butte aux attaques sanglantes des indiens, vous ajoutez une bonne dose de puritanisme exacerbé, de superstition et vous voilà plongés dans les tourments.

Sur le fondement du procès qui s'est déroulé en 1692 à Salem en Nouvelle-Angleterre et la crise de puritanisme de l'époque, plusieurs personnes ont été condamnées et pendues pour pratiques sataniques. Arthur Miller n'a pas son pareil pour montrer combien des croyances poussées à l'extrême, la peur du châtiment peuvent aboutir à des horreurs, une hystérie collective. Cette pièce a été écrite en réaction à la chasse aux sorcières lancée contre les communistes par le sénateur McCarthy dans les années 50. D'ailleurs Arthur Miller avait été lui aussi inquiété, interrogé.

Le révérend Hale, très jeune pasteur tout plein de suffisance, se cache derrière ses livres de sorcelleries pour détecter, déloger Satan de ses victimes.
Le révérend Parris est lui totalement dépassé par les événements. Sa cupidité lui fait oublier sa crainte pour la vie de sa fille Betty. Il ne voit dans tout ce qui arrive comme le résultat d'un complot contre lui par les fermiers pauvres de son village. Ensuite il y a Mr et Mme Putnam, de riches fermiers. Mme Putnan est totalement hystérique pour ne pas dire folle de la perte de ses sept enfants en bas-âge. Elle ne croit pas que les maladies aient pu les emporter. Cela ne peut être que l’œuvre du Diable ou des assassinats en série commis par une ou plusieurs sorcières.
Et puis on trouve John Proctor, un fermier pauvre en conflit avec le révérend Parris. Il n'hésite pas à travailler le dimanche pour nourrir sa famille. Il doit aussi se faire pardonner son adultère par sa femme.
A tout cela vous ajoutez des jeunes adolescences qui découvrent leur corps, tentent de se libérer du joug d'une vie trop puritaine où tout ou presque est péché.
De tout ce village, ce volcan prêt à l'éruption, la seule ou presque à avoir encore les pieds sur terre est Rebecca Nurse, une vieille dame pleine de sagesse, modèle de piété et de charité pour tout le village. On oublie pas non plus Tituba l'esclave de Parris. Elles seront emportées par le vent de folie.

S'il faut au début de la pièce prendre le temps de faire connaissance des différents personnages, leurs personnalités, leurs croyances intimes, les conflits plus ou moins latents les liant, le travail sur les dialogues d'Arthur Miller est saisissant. C'est effrayant avec quelle facilité il démontre qu'il ne faut pas grand chose, une toute petite étincelle, la haine d'une jeune fille pour tout faire exploser.

Le procès de 1692 et toutes les dérives causées à ce moment là ont donné à réfléchir. Il a été le terreau pour la rédaction des amendements de la future constitution des États-Unis. Soupçonné, on peut avouer tout et n'importe quoi. On peut dénoncer n'importe qui pour sauver sa vie. De quoi aussi s'interroger sur le bien fondé de la procédure appliquée ainsi que sur les aveux obtenus par la torture ou la frayeur d'un châtiment de Dieu. Il faut donc instituer un minimum de protections. Ces dernières n'ont pas empêché McCarthy de se servir de cette même constitution pour soupçonner, emprisonner, inquiéter bon nombre de personnes. La raison et la justice sont bien fragiles quand le fanatisme et la folie prennent le dessus.

La version lu n'était autre que l'adaptation et traduction de la pièce réalisée par Marcel Aymé et jouée par Simone Signoret, Yves Montant, Henri Crémieux et bien d'autres grands acteurs. J'aurai bien aimé voir cette pièce jouée par cette prestigieuse distribution.

A lire forcément.

Dédale

Extrait :

Hale : Combien de ces femmes de Salem sont venus vers vous avec le Diable ? Deux, trois, quatre ? Combien ?
Tituba, haletante, elle commence à jeter la tête d'avant en arrière, regardant fixement devant elle : Oui, elles étaient quatre ! Elles étaient quatre !
Parris : Qui ? Qui ? Leurs noms ? Dites leurs noms !
Tituba, éclatant : Ah ! Combien de fois le Diable m'a-t-il ordonné de vous tuer, monsieur Parris !
Parris : Me tuer ?
Tituta : Il disait : « M. Parris doit être tué ! M. Parris n'est pas un saint homme ! (La voix haineuse.) M. Parris est un homme avare, mesquin, hypocrite et pas un homme bon », et il m'ordonnait de me lever de mon lit et de vous couper la gorge. (Ils la regardent bouche bée.) Je lui répondais : « Non, je ne veux pas tuer cet homme ! «  Et lui, le Diable, il disait : « Travaillez pour moi, Tituba, et je vous donne votre liberté. Et les belles robes, je te les donne, et je te fais monter dans les airs et prendre ton vol vers la Barbade. » Et, moi, j'ai dit : « Vous mentez, Satan, vous mentez ! «  Et il est venu vers moi, une nuit d'orage et de colère, et il m'a dit : « Regarde, j'ai des femmes blanches qui m'appartiennent ! Oui, des femmes blanches ! «  (Criant.) Des femmes blanches ! (Baissant la voix.) Et j'ai regardé... et j'ai vu maîtresse Good.
Parris : Maîtresse Good !
Tituba : Oui, monsieur, et j'ai vu aussi maîtresse Osburn.
Mme Putnam : Je le savais ! Maîtresse Osburn a été trois fois la sage-femme qui m'a assistée. Je vous ai supplié, Thomas, est-ce vrai ? Je l'ai supplié de ne pas appeler cette Osburn qui me faisait peur. Mes enfants dépérissaient entre ses mains et... (A Putnam.) Vous l'avez fait venir, vous l'avez fait venir !
(Muet de colère, Putnam se dirige vers la porte.)
Parris : Thomas, non attendez !
Putnam : Elle est en bas, cette furie meurtrière, je la veux !
Hale : Et ainsi, vous avertirez les autres ? Attendez ! Tituba, vous avez dit qu'elles étaient quatre femmes de Salem ?
Tituba, elle détourne les yeux vers Abigaïl qui la regarde intensément : Monsieur Révérend... je suis aveugle, maintenant. Je ne peux pas voir. Je ne peux plus ! (Elle cache sa figure dans ses mains en sanglotant.)
Hale : Monsieur Parris, il ne peut y avoir de doute. Ce damné Satan est sorti de l'Enfer et se promène dans Salem avec un cortège de sorcières. (Montrant la crois noire.) Il a montré ses marques. Vous ferez bien d'appeler le gouverneur et de faire arrêter les deux femmes.

Les sorcières de Salem
Les sorcières de Salem d'Arthur Miller - Éditions Robert Laffont poche - 239 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marcel Aymé