En 1936, K. Čapek entreprend un voyage dans le Nord de l'Europe. En train ou en bateau le long des côtes, dans les grands et majestueux fjords, il tient une sorte de journal de son périple. Même s'il n'en oublie pas le monde qui gronde alentours (La seconde guerre mondiale se prépare insidieusement), quelques brèves références à l'histoire ou les grandes pages de la littérature des pays traversés, il y note tout ou presque. Ce sera les forêts à perte de vue, les couleurs et l'architecture des maisons, des fermes rouges éparpillées au milieu des champs, des forêts, entourées de lacs aux couleurs changeantes, les vaches noires et blanches, les sapins et autres arbres à perte de vue, les collines, plus au Nord les fermes où l'on fait sécher le poisson, les montagnes aux formes insolites illustrant bien l'imagination de la Nature au moment de la création. Et puis il y a cette lumière si spécifique au Nord. Cette lumière du soleil qui parfois ne se couche pas, jouant avec les nuages et les ondées.
En une écriture simple presque à l'économie, il dépeint à merveille les sentiments qui étreignent le voyageur si minuscule au milieu de toutes ces merveilles.

Ce qui fait le charme attendrissant de ces notes subtiles et intelligentes pleines de tendre ironie, ce sont les dessins qui les accompagnent. L'auteur dessine avec un plaisant coup de crayon des spécimens de ce qu'il voit : des chevaux à la crinière blanche, les sapins, des sapins à perte de vue et lacs, des lacs et encore des lacs tant il y en a de toute sorte, des forêts, des trains de bois sur les rivières argentées, des maisons avec des arbres poussant sur leur toit, la bouille toute ronde d'un gamin croisé lors d'une étape, une géologie granitique splendide.

Difficile de dire tout ce que l'on peut ressentir en tournant avidement les pages de ce voyage. On est simplement au côté de l'auteur, à bord du Håkon Adalstein passant le mythique cap Nord, ou dans le train à voir défiler les forêts et les lacs.

Voila donc une très plaisante lecture, dépaysante à souhaits que je recommande vivement. Elle permettra d'attendre l'occasion rêvée d'aller voir sur place, pour suivre les traces de K. Čapek, l'homme qui a vu le « paradis sur Terre

Dédale

Extrait :

En travers du sund scintille une ligne d'argent  nous naviguons tout à coup sur le long lac couvert de rides tendres et douces  les rocs bleus et dorés aux sommets couverts de neige se reflètent dans les milliers de petites facettes miroitantes. Le sund se resserre, ce n'est plus qu'un étroit sentier entre les falaises  ici , l'eau s'est muée en irréalité absolue, d'un vert profond, lisse comme de l'huile et silencieuse comme un rêve  ne respire pas, sans quoi tu la troublerais et briserais le reflet pur et écrasant des montagnes  une magnifique queue de paon d'eaux onduleuses traîne solitaire derrière la quille du bateau. Puis les montagnes s'écartent et apparaît une vaste étendue lumineuse, pleine du ciel, ondoyante comme la soie la plus brillante, rutilante et nacrée, onctueusement huileuse  les chaînes de montagnes, d'or et d'améthyste, s'y mirent en des lueurs veloutées et furtives. Mon Dieu, que suis-je censé faire de ça ! Mais nous n'y sommes toujours pas, car un sund n'est qu'un sund, tandis qu'un fjord est, comment dire, eh bien, c'est une chose qui ne fait plus partie de ce monde, une chose indescriptible, impossible à dessiner ou à jouer au violon  mes amis, je jette l'éponge ; est-ce que je peux rendre compte de quelque chose qui n'est pas de ce monde ? Pour résumer, disons qu'il y a des rochers partout et, plus bas, la mer lisse sur laquelle tout se reflète  voilà. Et ces rochers sont couverts de neiges éternelles et des cascades en tombent comme des rideaux  l'eau est transparente et verte comme une émeraude, disons, tranquille comme la mort ou l'éternité et terrible comme la Voie lactée  et ces montagnes semblent parfaitement irréelles, car posées sur aucun rivage, mais sur un simple reflet sans fond ; je vous l'avais dit que tout cela n'est qu'illusion ! Et parfois, quand dans le monde réel vient le crépuscule, un voile de brume monte des eaux, fin et dressé, duquel émergent les cimes et les massifs des montagnes, gonflés de nébulosités cosmiques  vous voyez, je vous le disais que c'est un autre monde ! Et nous ne sommes plus le Håkon Adalstein, mais un bateau fantôme qui glisse sans bruit à la surface du silence.

Voyage vers le nord
Voyage vers le Nord de Karel Capek - Les éditions du sonneur - 276 pages
Traduit du tchèque par Benoît Meunier