C'est l'histoire d'un type, « juste un type », qui marche le regard sans cesse rivé vers le sol. Ce type, Banguerossa est né avec un don qui tient plus de la malédiction : il suffit qu'il croise le regard d'une personne pour que celle-ci lui avoue ses secrets les plus inavouables, les plus noirs et les plus honteux. Il n'y peut rien Bang, c'est comme ça. Mais allez expliquer ça à celui qui vient de se confesser à son corps défendant et qui n'a qu'une envie : taper de toutes ses forces sur celui qui a provoqué les confidences. Alors Bang, pour ne pas être roué de coups, avance tête baissée et évite tant bien que mal la compagnie des hommes. Or ce soir-là, dans un bar parisien, une jeune femme affronte son regard et lui ment éhontément. Elle se fait appeler Nao et son médecin vient de lui expliquer qu'elle n'a plus que quelques mois devant elle. Ces deux-là n'ont rien à perdre et sans doute tout à gagner à rester ensemble : pour Bang, c'est l'occasion de pouvoir enfin nouer des liens avec un tiers ; pour Nao une façon de tromper la mort.

Autant commencer par là : ce second roman est une réussite. On retrouve tout le talent d'Estelle Nollet pour croquer des personnages hors-norme et terriblement attachants. Bang et Nao, deux éclopés aux caractères si dissemblables qu'ils n'auraient théoriquement jamais dû se rencontrer. Et pourtant, ces deux-là vont former un duo d'inséparables, deux voyageurs sans attaches ni destination qui traversent les pays et les continents à la recherche d'eux-mêmes. Les portraits psychologiques de ces deux protagonistes sont particulièrement bien réussis. Par petites touches, Estelle Nollet donne corps et âmes à ces deux êtres et nous livre toute l’ambiguïté de leur relation. Le bon, la brute, etc. n'a cependant rien d'un huis-clos psychologique.

Si dans On ne boit pas les rats-kangourous, Estelle Nollet avait ancré son action dans un lieu unique, elle multiplie ici les paysages et les décors : la France, l'Amérique du Sud, L'Afrique, L'Indonésie, etc... mais où qu'ils aillent, Bang et Nao sont poursuivis par l'étrange faculté de Bang et ils se rendent compte que l'humain a toujours quelque chose à cacher. Les confessions involontaires se succèdent, parfois drôles, souvent sordides, et ce sont une multitudes de petites histoires qui s'ajoutent à l'intrigue principale.

Bien sûr, toute fuite doit un jour s'interrompre et je ne vous dirai pas comment finira celle de Bang et Nao. Mais il me faut cependant souligner une autre qualité de ce roman : c'est quand on pense qu'Estelle Nollet a fini de dérouler sa pelote, que l'on s'aperçoit avec ravissement que tout cela n'était que la première étape de son récit. En effet, la seconde partie – dont je ne vous dirai absolument rien pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte – est tout aussi passionnante que la première mais dans un registre radicalement différent. Estelle Nollet nous offre un deuxième acte inattendu – quoique totalement cohérent avec ce qu'elle a développé précédemment – et le lecteur se laisse une fois de plus envoûter par les talents de conteuse de la romancière.

Le second roman est toujours une étape périlleuse mais Estelle Nollet confirme ici tout son talent : si on retrouve une certaine familiarité entre les deux romans, la romancière démontre aussi qu'elle sait changer d'univers et de registre, sans perdre la puissance narrative et le soin apporté à ses personnages, deux qualités qui m'avaient tant séduite dans son premier ouvrage.

(Du même auteur : On ne boit pas les rats-kangourous)
Lire également l'interview d'Estelle Nollet

Laurence

Extrait :

« Vous ne regardez jamais les gens alors, si vous gardez toujours la tête baissée ?
- C'est le principe. J'évite.
- Vous aimez si peu les autres ?
- Ce sont eux qui ne m'aiment pas.
- Mais moi vous me regardez. » Et elle le fixait en finissant son verre et en croquant les glaçons. « Pourquoi ?
- Parce que vous êtes la seule personne au monde à ne pas me dire la vérité.
- Je croyais que tous les gens mentaient. » Elle disait ça d'un ton égal.
« Pas à moi. »
Alors il raconta, lambeau par lambeau, les bribes de sa malchance, dans ce vieux rade silencieux aux relents fauves, à une femme qui ne se laisserait jamais connaître mais qui portait des bottes de cuir qu'il rêvait d'enlever.
À la seule femme qu'il pouvait regarder dans les yeux et qui ne s'enfuirait pas.

Le bon, la brute, etc.
Le bon, la brute, etc. de Estelle Nollet - Éditions Albin Michel - 250 pages