mpressionnante la maîtrise dont fait preuve l'auteur dans cette histoire qui donne immédiatement froid dans le dos. Sans en rajouter aucunement, il dépeint la violence brute de l'assassin, son mode opératoire, nous le présente – comble de la torture pour le lecteur. Cet homme est-il fou ou bien trop enthousiaste pour les écrits de Lautréamont, les Chants du Maldoror ? Est-ce que l'art peut justifier que l'on assassine froidement quelques jeunes hommes blonds ou bien témoins un peu gênants ?

L'auteur ne nous épargne rien même pas la violence de la société où se déroulent les faits. En cette fin du XIXe siècle, on retrouve tous les rouages d'une société à deux vitesses : les nantis, les bourgeois, un gouvernement sous Napoléon III et une masse de pauvres, d'ouvriers, de petites gens, cette armée de prostitués qui tentent de vivre vaille que vaille. Hervé Le Corre peint là dans toute sa complexité une société des plus noires, des plus sombres, des plus violentes. La misère économique où les hommes et les femmes n'ont que leur force de travail et/ou simplement leur corps pour survivre. On comprend aisément les remous sociaux, la naissance de la Commune, la répression sanglante qui en a suivi, les aspirations du peuple à plus de justice. Et la guerre de 1870 contre les Prussiens ne va rien arranger.
Il y a du Zola, là dedans ! Cela ne pouvait que me plaire.

Si ce polar est des plus prenants, il ne m'a pourtant décidé à me pencher sur ces fameux Chants du Maldoror de Lautréamont, alias Isidore Ducasse. De ce que j'en comprends, je ne m'en sens pas le courage de faire face à la trop grande violence, noirceur contenue dans ces vers. Et puis cette peinture sociale a, ce me semble, pris trop le pas sur l'intrigue policière. J'ai ressenti une petite frustration à ne pas voir l'enquêteur François Letamendia, d'origine basque et passionné par les nouvelles techniques d'investigation, plus mis en valeur. Dommage, il le méritait bien.

Ces deux réserves mises à part, c'est vraiment une lecture impressionnante, captivante, amplifiée par une écriture superbe. Y a rien à redire. Les ambiances sont remarquables. C'est du pur roman noir, du brut, de l'intense. On reste soufflé par tant de talent. J'avais déjà ressenti cela lors de ma lecture, ma première découverte, de la fameuse Trilogie bordelaise du même auteur. Je ne peux que vous recommander également cette lecture.

Hervé Le Corre, un auteur à découvrir et suivre absolument.

Dédale

Extrait :

Quand il entend ce grincement métallique, il a l'impression que quelque chose se déchire en lui. Puis il pense au bruit terrible d'une grille de tombeau qu'avec quelques mioches aventurés il entendit un soir au cimetière du village, et qui les fit détaler en piaillant de terreur. Il se rend compte finalement que la porte de fer qui s'ouvre à la base de la colonne vient de tourner lentement sur ses gonds, et qu'une silhouette encapuchonnée dans une sorte de houppelande se tient sur le seuil, à une vingtaine de mètres de lui, et le regarde. Sa respiration précipitée pousse devant l'homme des petits paquets d'ouate qui virevoltent autour de sa capuche. Il fait quelques pas en émettant une plainte, où un râle. Peut-être un grognement. Ou alors c'est toute son étranger personne qui grince en avançant. Étienne ne sait pas. Il dévisage cette physionomie statufiée aux yeux immenses, écarquillés par l'étonnement, allumés par la rage. Longue figure osseuse, glabre, aux sourcils dessinés comme deux arcs parfaits. Il sait qu'il n'oubliera pas de sitôt ce masque-là, surgit d'un carnaval funèbre ou d'une danse macabre.
Puis un poing jaillit sous un pan du manteau, et la lame d'un grand couteau brille fugitivement dans le geste menaçant que l'assassin adresse à l'intrus avant de s'enfuir à grandes enjambées vers la rue de la Paix.

L'homme aux lèvres de saphir
L'homme aux lèvres de saphir de Hervé Le Corre - Éditions Rivages Noir - 503 pages