Car le point de vue qu’adopte Michel Rostain est bien plus original : il donne la parole – fictive, par définition – au fils défunt.
Celui-ci s’adresse à tous, et à son père en particulier. D’entrée le ton est donné :

Le onzième jour après ma mort, papa est allé porter ma couette à la teinturerie. Monter la rue du Couédic, les bras chargés de ma literie, le nez dedans. Il se dit qu’il renifle mon odeur. En fait, ça pue, je ne les avais jamais fait laver ces draps ni cette couette. Des jours, des mois et des mois que je dormais dedans. Ca ne le choque plus. Au contraire : subsiste encore quelque chose de moi dans les replis blancs qu’il porte à la teinturerie comme on porterait le saint sacrement. Papa pleure le nez dans le coton.

S’ensuit le récit des jours qui ont précédé la tragédie – comment le père va s’en vouloir rétrospectivement d’avoir fait ses courses pendant que son fils vivait ses dernières heures – puis le récit de l’enterrement – ses parents ont eu la bonne idée de choisir la crémation – et les mois qui suivent avec les photos qu’on regarde en boucle, jusqu’au voyage pour disperser les cendres. « On peut vivre avec ça » lui avait confié un ami au moment fatidique. Il avait raison.

Pas de dolorisme, simplement un récit juste où on entend résonner la voix d’un jeune garçon qu’on aurait aimé rencontrer. Le lecteur, jamais pris au piège du voyeurisme, suit, à travers le regard ironique du fils, les errements pathétiques mais aussi drôles parfois, de ce père qui essaye de survivre à un événement dont on ne revient pas.

Dans une interview Michel Rostain précise :

Je n’étais pas dans l’autobiographie, dans le dolorisme, dans la plainte… Fiction ? Je ne sais pas, j’aimerais bien que ce soit un roman, que mon fils ne soit pas vraiment mort. Autofiction, évidemment, sauf qu’il n’y a pas de « je » dans le livre ; ce n’est justement pas « je Michel Rostain » qui parle, c’est « je ton fils ». C’est différent du coup, un récit aux frontières de toutes sortes de genres.

Metteur en scène, notamment de spectacle lyrique, la musique est une constante pour Michel Rostain. L’auteur explique qu’il a vraiment perdu son fils, pendant la préparation d’un spectacle musical : « Notre fils est réellement mort à la fin des répétitions d’un spectacle musical que Martine et moi nous étions en train de créer. Musique de Richard Dubelski d’après des textes de Nancy Huston. Évidemment, Martine et moi, nous nous sommes demandé si nous allions annuler cette création. Nous nous sommes dit que non, il ne fallait pas, Lion faisait partie de l’histoire de notre spectacle. En plus, c’est un des rares spectacles que j’ai faits avec la maman de mon fils, avec cette femme tant aimée. »

D’un style sobre et en évitant l’écueil du pathos, Michel Rostain livre donc un récit plein d’espoir. On n’adhère pas forcément à la cascade de « signes » que l’auteur va trouver dans la fin de l’ouvrage, mais une fois le livre refermé on reste touché par l’humanisme de son auteur, et du message final sur lequel il se conclue :

On n'a jamais EU un enfant, écrit Michel Rostain en citant Marina Tsvetaieva, on l'a toujours !

Alice-Ange

Extrait :

Papa dit qu’il ne voudra plus jamais tenter de gagner au moindre jeu de hasard. Il dit que ma mort lui a appris ce que c’est que perdre. Jouer serait tenter le démon, tenter de ne pas avoir perdu. Papa dit qu’il donnerait tout pour que je ne sois pas mort. (Tiens, encore une formule qui ne relève plus tout à fait du convenu et qui devient assez vraie : « Je donnerais tout pour qu’il vive encore ! ») Papa se sentirait mal s’il gagnait au Loto. Il a tout perdu et c’est comme s’il devait rester fidèle à cette perte. Plus rien à gagner.
Papa joue quand même au Loto. Au bureau de tabac, il coche ma date de naissance, la date sur laquelle il a hésité quand le Samu nous interrogeait. Il tente d’annuler son foutu lapsus, au moins ça, annuler sa connerie.
Aux tirages du mercredi et du samedi suivant, le 19 ne sortira pas. Ni le 21 de mon âge. Ni le 4 d’avril, ni le 28 (de 1982 où je suis né, 82 inversé avec application, mais tout de même, le 28, c’est aussi le jour de sa naissance à lui.) Échec sur toute la ligne. Numérologie implacable. Loto perdu papa toujours perdu.

Le fils
Le fils de Michel Rostain - Oh ! Editions - 173 pages