Rescapé de la Shoa, le narrateur ayant perdu toute sa famille à Auschwitz dont il a réussi à s'enfuir à onze ans, et après avoir erré pendant un certain temps dans les forêts d'Ukraine (voir d'autres récits de l'auteur), est recueilli par l'Armée Rouge. Avec une foule de réfugiés, il va se retrouver à Naples, dans l'attente d'un bateau pour Israël. C'est cette partie de sa vie que raconte Aharon Appelfeld.

Le titre est à prendre au pied de la lettre car le garçon, alors adolescent, refusait de se réveiller, et fut  littéralement transporté par les autres réfugiés qui parfois l'oubliaient, venaient le rechercher, alors qu'il continuait à dormir, n'émergeant de son sommeil que pour boire. Ce sommeil était peuplé de rêves qui le ramenaient à sa vie d'avant, à sa famille, aux lieux de son enfance, à tout un monde disparu à jamais, et qu'il ne pouvait  ressusciter qu'en dormant.

Peu à peu cependant, malgré son refus initial de se couper de liens qui sont tout ce qui lui reste, pris en charge avec d'autres orphelins par l'Agence Juive, il va apprendre à vivre, dans un monde nouveau où le passé n'a plus sa place, où pour survivre, il faut changer de nom, oublier sa langue maternelle, apprendre l'hébreu, s'entraîner à être fort, physiquement et mentalement.

L'entraînement se poursuit en Israël dans le kibboutz, et c'est la guerre. Blessé gravement à la jambe pour son premier jour de combat, le jeune homme, cloué sur son lit d'hôpital et désespérant de pouvoir remarcher un jour va résister au désespoir grâce à l'écriture : chaque jour il s'astreint à recopier des passages de la Bible en hébreu, s'imprégnant à la fois du texte et de la calligraphie. Peu à peu se dessine ainsi son destin : écrire et redonner vie au monde disparu de son enfance, rendre hommage aux siens, transmettre une expérience, une histoire.

Le garçon qui voulait dormir est un livre qu'on n'oublie pas. Écrit dans une langue très sobre - il n'y a presque pas d'adjectifs - avec une grande pudeur et aucun  pathos, il n'en est que plus bouleversant.

Du même auteur : Tsili

Marimile

Extrait :

Depuis la fin de la guerre, j'étais plongé dans un sommeil continu. Je passai de train en train, de camion en camion, de carriole en carriole, tout en demeurant dans un sommeil épais dénué de rêves. Lorsque j’entrouvrais  les yeux, j'apercevais des gens qui me semblaient lourds et inexpressifs.
Je n'ai aucun souvenir de cette grande errance, et il n'y a rien d'étonnant à cela. J'avalais la nourriture distribuée, ou plutôt les restes que l'on me donnait. S'il n'y avait eu  la soif  pour me torturer tout au long de la route, je ne me serais sans doute jamais levé , pas même pour une tranche de pain. Une seule sensation émerge de ce voyage abruti de sommeil : l'eau fraîche et limpide des rivières apaisant pour un instant trop fugace le feu qui brûlait en moi, avant  que la soif ne me torture de nouveau.
Les réfugiés me portaient à bout de bras. Si l'on m'oubliait, il se trouvait toujours quelqu'un pour venir me chercher. Mon corps a gardé l'empreinte de cette errance chaotique, bien mieux que moi. J'ai parfois l'impression d'être porté dans le noir ou d'avancer en titubant. Apparemment,je ne saurai jamais  ce qui m'est arrivé durant ces jours de sommeil, hormis le timbre d'une voix qui s'adressait à moi, le goût du pain que l'on fourrait dans ma bouche et, à part ça, le brouillard.
C'est ainsi que je suis parvenu ici. On a relevé les bâches, des gens et des ballots se sont déversés. « Naples ! » ont clamé les chauffeurs des camions. Le ciel était très haut, le soleil brûlant se noyait dans la mer, la lumière était aveuglante.

Le garçon qui voulait dormir
Le garçon qui voulait dormir
de Aharon Appelfeld - Éditions de l'Olivier - 297 pages
Traduit de l'Hébreu par Valérie Zenatti