Bobby est content que le vieux s'occupe de lui car il veut retrouver la santé pour aller se venger, tuer la bande de Raul qui l'a agressé et défiguré Maria. Il apprend bientôt que Maria s'est suicidée à l'hôpital en se jetant par la fenêtre et sa haine n'a plus de limites. Il veut tous les tuer.

Finalement Bobby leva la tête, lentement, et regarda Moishe, la figure mouillée, les yeux rouges, puis secoua la tête, ferma les yeux, puis les yeux mi-clos regarda le plafond, J'vais m'occuper dces enculés dbics c'est comme s'y étaient djà morts – Moishe sentit un coup de poignard dans son coeur, sa bouche s'ouvrit, mais se referma vite – S'en sortiront pas vivants après ce qu'y ont fait – regardant tout à coup Moishe en face, un regard de glace, un regard de verre – Pendant qu'y m'astiquaient lcul y ont balancé dla soude à la gueule... voilà ce qu'y ont fait... y ont brûlé la gueule... les gens qu/étaient là y ont dit qu'elle était toute brûlée – Bobby regardant toujours Moishe qui réprimait ses larmes, voulait serrer Bobby dans ses bras, dire quelque chose – y ont brûlé la gueule et elle s'est foutue par la fnêt, dans le vide, 9 étages dans le vide pour s'étaler par terre Oh Mush – regardant Moishe avec un visage hébété, éperdu, hébété à l'intérieur de lui-même, éperdu dans la soudaineté du retournement de sa vie, pataugeant comme le noyé qu'il était dans l'immensité de sa douleur et de sa rage, avait cent questions à poser mais ne savait pas lesquelles, voulait lui demander quelque chose mais les mots n'étaient pas là...

Grâce à une syntaxe très particulière et un vocabulaire adapté au personnage, Selby rend toute le débordement de haine qui anime le jeune garçon. Mais Moishe lui explique qu'il ne faut pas haïr car la haine le tuera. Il raconte petit à petit son histoire à Bobby. Il était allemand avant la guerre, vivait d'une petite entreprise d'électricité-plomberie avec son collègue Klaus. Il s'appelait Werner Schultz. Puis, parce qu'il voulait garder pour lui tout seul l'entreprise, son collègue le dénonce comme juif aux autorités nazies. Alors qu'il n'est pas juif, Werner est emmené en camp de concentration où il va passer des années. Parce qu'il a aidé un Juif à se relever, il devient « un bon Juif », comme disent les autres prisonniers qui l'appellent Moishe. Mais il ne vit que pour se venger de Klaus quand il sortira, s'il sort. Puis il rencontre Sol, qui lui dit de ne pas haïr, qu'il y a d'autres raisons de vivre que la haine.

La violence et l'amour son au coeur de ce roman de Hubert Selby Jr. Habituelle violence du Bronx que l'auteur a souvent manié dans ses textes, et étonnante présence de l'amour incarné par Moishe. Il est l'amour pur, sans condition et immédiat, l'amour qui a trop souffert pour connaître frontières ou restrictions. Moishe souffre de voir Bobby bouillir de haine et de vengeance, mais il laisse au jeune garçon la liberté d'agir. Il lui parle et avec ses mots seuls sème en lui le doute. Comme une mère, Moishe tremble quand Bobby n'est pas là, quand il l'imagine frappant ou tuant (cf. extrait en fin de billet).

Comme une mère, Moishe soigne Bobby, panse ses blessures et le nourrit. Alors qu'il n'a pas eu de père, Bobby a grandi dans la violence, seule une figure maternelle pourra lui montrer une autre façon de s'exprimer. Bobby a besoin d'une voix dépourvue de religiosité car dans le Bronx comme dans les camps, Dieu n'existe pas, ou alors pour accabler les victimes comme Maria. Moishe le Juste est cette voix qui permet à Selby de montrer un chemin à ceux qui ont grandi dans la misère, la violence et la haine. C'est en lui-même, et en lui-même seulement que l'Homme peut trouver les ressources d'amour nécessaires pour faire face au Mal et au vide de la vie.

Ys

Extrait :

J’ai peur. Donc… c'est très simple, j’ai peur de m’attacher à ce garçon… un petit-fils (oui, le petit-fils que j’ai jamais eu) et de le voir s’en aller et d’avoir à nouveau le cœur brisé… on me l’a brisé tant de fois, oui, oui, il a été chaque fois raccommodé, mais fini le chagrin, je ne pourrai pas survivre à un nouveau coup au cœur… le chagrin, la peine… je n’ai plus assez de lendemains pour guérir, je les ai tous dépensés depuis longtemps… Oui, oui, je sais, quand mon cœur se brise il s’ouvre, chaque fois davantage… et il y entre plus de lumière et il en sort plus d’amour, mais si j’ai pu jadis supporter la douleur, c'est fini, je n’ai plus d’endurance… mon cœur ne tient plus qu’à un fil, il bat, mais comme un vieux tambour. Ma douleur m’appartient et ne vaut rien à personne, de même que ma folie m’appartenait et personne ne pouvait écarter les barreaux pour moi. J’ai vécu… je suis mort… j’ai fait de mon mieux et me voici, vieil homme prêt à mourir, et me voici avec une vie… une vie blessée, un animal des rues au-dessus de ma tête qui entre dans ma vie et apporte avec lui mon passé…

Saule
Le Saule
de Hubert Selby Jr - Éditions Points - 336 pages
Traduit de l'anglais par Francis Kerline