Avec Dinka – c’est le nom du chien que Assaf ne va pas tarder à découvrir – on va suivre Assaf pas à pas dans les rues de Jérusalem, à la poursuite d’une mystérieuse Tamar, une adolescente disparue dont beaucoup de personnages étranges font un portrait étonnant.

On y croisera Théodora, une religieuse fille de l’île de Kyksos en Grèce, Léah, la propriétaire d’un restaurant fameux, Rhinocéros, celui qui devrait être le beau-frère d’Assaf mais que sa fiancée a délaissé pour un Américain, et toute une galerie de personnages étranges comme ce Pessah, le PDG d’une curieuse entreprise qui recueille, héberge et nourrit tous ceux qui vivent dans la rue et qui se disent artistes.

Comme dans Tu seras mon couteau, David Grossman mêle deux récits qui s’entrecroisent : celui d’Assaf, subitement passionné par la recherche qu’il mène avec Dinka, et celui plus sombre de Tamar, une adolescente qu’on imagine déterminée à sortir du milieu interlope fait de drogue et de crimes dans lequel elle est venue s’immerger pour fuir sa famille. Au fur et à mesure du récit, tel un roman policier, on découvrira à la suite d’Assaf ce qui bouleverse Tamar et lui fait courir autant de risques ...

Quelqu’un avec qui courir tient aussi bien du roman initiatique que du récit de chevalerie. On y trouvera le récit d’un héros moderne parti à la recherche de sa belle dame, aussi bien que la description du milieu sombre de la drogue décrit sans complaisance ni faux-semblant. Un roman haletant, à l’image de la course effrénée que mènent Assaf et Tamar jusqu’au bout, et qu’on ne relâchera qu’une fois la dernière page refermée.

Du même auteur : Une femme fuyant l'annonce

Alice-Ange

Extrait :

En imagination, elle avait un courage sans bornes. Sa voix se déployait dans la rue, emplissait tout l'espace, imprégnait les gens comme une substance adoucissante, purifiante ; en imagination, elle choisissait de chanter un registre suraigu pour les surprendre d'emblée par la hauteur du son, puis s 'abandonner sans vergogne à cette ivresse narcissique qui la plongeait dans un léger brouillard, un vertige de plaisir qui la faisait décoller du plus profond d'elle-même jusqu'à des hauteurs vertigineuses. Mais elle avait fini par choisir Suzanne à cause de la voix chaude, désarmée et triste de Leonard Cohen, et parce qu'il lui serait plus facile, du moins au début, de chanter dans une langue étrangère.
Mais très vite la voix se casse : elle a attaqué trop faiblement, avec hésitation. Pourtant, dans son plan si élaboré, le chant était la seule chose dont elle était sûre. Mais c'était plus difficile qu'elle ne l'avait imaginé. Chanter dans la rue c'était se montrer jusqu'au fond d'elle-même. Elle fait un effort pour surmonter le trac, mais c'est encore si loin de ses rêves fous, quand la rue retient son souffle dès le premier son, que le laveur de vitres de Burger King interrompt ses tristes mouvements circulaires et le marchand de jus de fruits arrête sa machine en plein beuglement de carotte pressée... (...) Elle règle sa respiration et réprime le vertige qui soudain entraîne sa voix, elle oses lever les yeux, jeter un coup d'œil au petit rassemblement, un dizaine de personnes autour d'elle... (...) Tamar sourit intérieurement, son professeur lui manque, elle gravit pour elle les marches imaginaires depuis la gorge jusqu'à l'oiseau secret au centre du front.

Quelqu'un avec qui courir
Quelqu'un avec qui courir de David Grossman - Éditions Points - 400 pages
Traduit de l’israélien par Rosie Pinhas-Delpuech