Le livre de Martin Caidin est nettement plus intéressant, ne serait-ce que parce que c'est un honnête thriller de SF, bien écrit, presque visionnaire pour son époque. Quand il paraît en 1972, la bionique (et non pas la redoutable billevesée qu'est la bio-ionique) est une idée vague, un thème pour auteurs de SF pas sérieux qui veulent sortir du super héros extra-terrestre tout en faisant évoluer un héros invincible. Si, bien sûr, thriller oblige, Steve Austin s’avère, vers la fin du livre, adhérer à cette image, il en est bien loin tout au long des deux premiers tiers.

Puisqu'on doit faire avec la série, autant écrire cette critique sous forme d’étude comparative. Ce sera plus simple.

D'abord, le héros. Steve Austin est loin d'être ce séducteur modeste et bienveillant que campe Lee Major. Le Steve de M. Caidin est un macho dans sa plus pure expression. Bien qu’ingénieur, c'est un être superficiel qui ne sort qu'avec les plus jolies filles. Son physique et ses exploit de cosmonaute et pilote d'essai lui servant d’auréole triomphante. C'est un égocentrique, méprisant et arriviste. Bref le héros masculin dans sa caricature la plus violente.

Inutile de dire que lorsqu'il s’écrase à bord d'un prototype et se retrouve réduit à l’état de quasi homme tronc, perd un œil, manque mourir suite aux dommages causés à une de ses valvules mitrales : exit le héros flamboyant.  Il s'isole, rompt avec sa petite amie, se comporte comme un enfant gâté à qui on a piqué ses jouets, fait même une tentative de suicide.

Il n'est pas choisi par Oscar Goldman pour d’exceptionnelles qualités humaines et une amitié en acier trempé. Il est sélectionné pour l’expérience cyborg parce que c'est un pilote d'essai et qu'étant un ancien membre des missions Apolo, les techniciens disposent des mesures exactes des proportions de tout son corps au poil prêt.

Nous voici déjà bien loin de la série qui exalte l'amitié, les vraies valeurs familiales et le pur héros Américain.

L'intrigue, en elle-même, n'a pas plus à voir avec la série, si l'on excepte les scènes d'actions nécessaires à un thriller (deux missions, pas plus, soit, au total, guère plus d'un tiers du livre, tout cumulé).
Cyborg nous parle d'un sujet qui préoccupe beaucoup le milieux des pilotes, dans lequel évolue Martin Caidin : les vétérans mutilés et le rapport qu'ils ont à leurs prothèses, à leur corps. Comment faire accepter à un individu qu'il n'est pas un monstre, membre manquant ou pas ?

On suit avec une foule de détails l’évolution de Steve, sa lutte contre les écueils de la perception, son refus de considérer ses prothèses bioniques comme faisant partie intégrante de son corps.

En dehors de la prouesse technique, Cyborg s'intéresse à l'homme, à son cheminement, au fait qu'il se perçoit comme un monstre. C'est d'ailleurs un des cotés dérisoires du personnage, lui qui s’était efforcé d'avoir un corps parfait, arme ultime de séduction, rejette celui qu'on lui donne. Alors que pourtant, ce composé mi-homme, mi-machine est bien plus proche de ce qu'il rêvait d'avoir que n'aurait jamais pu l'être son corps biologique.

Ainsi, grâce au style impeccable, bien qu'un peu verbeux parfois, on suit avec fluidité le lent passage de Steve Austin, le sale gosse gâté et égoïste, vers l'âge adulte. On le voit accepter au fil des pages que ce qui fait de lui un Homme avec un grand H ne réside pas dans ses muscles, mais plus dans ce qu'il accepte et assume d'être.

Cyborg est un livre humain et courageux. On y suit, sous le couvert de la SF et du roman d'espionnage, la rédemption d'un homme qui souffre et se déteste lui-même.
Certes, étant le héros, Steve reprendra les rênes, mais pas avant d'avoir exploré certaines des faces les moins reluisantes de sa personne. Et quand enfin il aura appris l'humilité, il connaîtra un final victorieux.

J'aimerais ici rendre justice à ce livre, injustement mis au rencard à cause d'un feuilleton un peu trop bien pensant et trop plein d'une technologie triomphante.
Cyborg n'est pas un chef d’œuvre, certes, mais c'est un bon thriller humain où une bonne part de l'aventure est intérieure. Ce sont les affres d'un homme réduit à sa portion congrue par le destin, qui devra se reconstruire seul et accepter sa vraie nature. Les détails techniques ont vieilli, c'est sûr, et dans ce cas, je veux bien accepter l’appellation « vintage ». Bien d'autres ouvrage, bien plus médiocres, ont connu un meilleur destin.

Alors, si vous avez l'occasion, courez donc les bouquinistes et les vendeurs de livres d'occasion, vous finirez bien par en trouver un exemplaire. Personnellement je l'ai trouvé à 4 € sur le net.

Hugues

Extrait :

- Que sentez vous ? Demanda Fanier en désignant le pied abîmé.
Steve leva les yeux.
- Vous plaisantez ?
- Pas du tout. Que sentez vous ?
- Ce n'est pas ma jambe, bon sang. C'est vous qui l'avez construite ici, dans votre petite usine.
- Vous vous trompez, insista-t-il. C'est votre jambe. Et vous feriez mieux de commencer à envisager les choses de cette façon, parce que ce qui est certain, c'est que vous ne pouvez pas continuer à faire ça.
Steve leva les yeux vers Rudy.
- Ah tiens peut être quelque chose là. Il y a une drôle de sensation maintenant que j'y pense.
Wells haussa un sourcil.
- Si, je t'assure, insista Steve.
- Comment ? une douleur ?
- Non. Plutôt une sorte de picotement. Ça ne me fait pas mal mais c'est ennuyeux. Si je ne m'occupe pas de mon pied, ça me rappelle qu'il y a quelque chose qui cloche par là. En tout cas c'est l'impression que j'ai.
- Sérieux ? Demanda Fanier.
- Ouais.
Steve le dévisagea :
- Mais qu'est ce qui vous arrive ?
Fanier désigna la jambe du doigt :
- Ce que vous venez de dire... nous avions des théories là dessus mais c'est, euh je veux dire... c'est plus que je n'ai jamais vraiment espéré. c'est la compensation, dit il...

Cyborg
Cyborg de Martin Caidin - Éditions Denoël, présence du Futur n°186 - 320 pages
Traduit l'anglais (États-Unis) par Jacques-Daniel Vernon