C'est comprendre que tous les hommes sont d'une désarmante complexité et que tu es toi aussi tous les hommes.

Ainsi donc David Thomas récidive avec ces petits textes dont il a le secret. Il pointe pour nous les us et coutumes des couples, les travers des hommes et des femmes avec cet d'humour qu'il lui vient d'on ne sait où mais qui lui va bien mâtiné d'un peu plus de tristesse que dans le premier opus.

L'auteur n'épargne rien ni personne. On trouve le ridicule, les cruautés, les faiblesses, les travers des unes et des autres (Logorrhée), les couples qui vont bien, ceux qui vont mal, les difficiles renoncements (Renoncement), la solitude si présente, si pesante (Téléphone, Meubles) parce que la vie peut être vache parfois (Pignolo, Cartouche, Jour pour jour), les souffrances endurées avec courage. Il n'oublie pas les séparations (Sept ans), ces jours où l'on en peut plus de l'autre (Clair de lune), les doutes les questions qui vous tombent dessus sans crier gare (Qui s'est trompé, Mémoire, Erreur).

D. Thomas nous offre là une belle galerie de portraits tous plus attachants les uns que les autres. Il y a ce trader devenu écrivain à succès mais qui ne veut toujours pas apprendre à perdre. (Un franc succès), ou bien celui qui ne peut se passer des cris de sa femme (Hurlements). Ce que le silence peut faire du bien. Ce que j'aime chez l'auteur, c'est sa façon de trousser de belles déclarations d'amour, la tendresse du quotidien (Laetitia, Moche). On sourit aussi à cet homme qui se prend dans une rixe pour pouvoir enfin fumer une et tant pis si c'est au commissariat (Quand j'ai arrêté de fumer). On s'interroge comme lui sur l'amour, cette étrange chose (Caverne,Transhumance, Maison).

Je ne veux détailler plus ces 75 textes pour vous ménager la surprise. Ce recueil est à nouveau un petit régal que l'on lit et relit souvent. La vie mode d'emploi version D. Thomas ? Peut être bien.

Je ne sais pas pourquoi je raconte tout ça, sans doute parce que j’aimerais moi aussi savoir qui je suis.

Je suis un être humain, justement.

A savourer, à partager avec le plus grand nombre, juste pour le plaisir et parce que cela fait du bien.

Dédale

Extrait :

Portes

Ma femme a une fâcheuse manie, elle ne peut pas s'empêcher de claquer les portes. Elle ne crie pas, mais elle claque les portes. C'est sa façon à elle de clore une conversation quand nous ne sommes pas d'accord. Et notre fille a hérité de ce petit travers maternel, y ajoutant, c'est sans doute pour apporter sa touche personnelle, des hurlements à se fermer les yeux. Alors, un jour, fatigué de cette agressivité, muette pour ma femme mais extrêmement sonore pour ma fille, j'ai profité qu'elles soient sorties quelques heures pour démonter toutes les portes de la maison et les descendre à la cave que j'ai refermée avec un cadenas en acier et laiton de 50 mm dont la clé pend à mon cou. Depuis, j'ai la sensation d'avoir une nouvelle famille.

Je n'ai pas fini de regarder le monde

Il y a quelques années j'ai fait la connaissance d'un milliardaire. Un jour il m'a résumé sa vie : « J'ai rencontré tous les puissants et les grands décideurs de la planète. J'ai côtoyé des milliers d'hommes et passé autant d'heures à écouter, parler, argumenter et convaincre. J'ai généré des milliards de dollars de richesse et mon nom est familier des millions de foyers. J'ai passé mon temps dans des jets privés où l'air est artificiel, dans des villes recouvertes de goudrons et dans des habitations où l'intelligence et l'énergie des hommes se sont concentrées sur le superflu. J'ai tellement voyagé que j'ai dû faire cinq cent fois le tour de la terre et pourtant, j'ai la sensation de ne rien savoir d'elle. »
Il y a quelques temps, j'ai appris qu'il s'était retiré dans une cabane sibérienne au bord d'un lac, vivant de pêche, de chasse et de silence. Il parait que lorsqu'il est parti, il a promis à ses proches de rentre dès que possible sans pour autant préciser la date de son retour. Cela fait maintenant trois ans qu'il y est. On raconte qu’une fois par mois, il envoie à sa femme depuis son téléphone satellite le message suivant : « Tout va bien, mais je n'ai pas fini de regarder le monde. »

Je n'ai pas fini de regarder le monde
Je n'ai pas fini de regarder le monde de David Thomas - Éditions Albin Michel - 167 pages