Désirée est bibliothécaire et citadine. Elle se rend presque quotidiennement sur la tombe de son mari Örjan, mort trop tôt et même pas de maladie ! Elle lui en veut de l'avoir lâchée. « Une veuve encore jeune et sans enfants ». Elle a passé sa vie auprès de son mari avec la sensation que la vraie vie passait à côté d'eux sans qu'ils en profitent.

Benny est agriculteur avec trois doigts à la main gauche. Il vient s'occuper de la tombe de ses parents fleuries comme un jardin ouvrier. On est agriculteur ou on ne l'est pas !
Le cimetière est le seul moment où il peut prendre un peu de temps pour lui, pour s'échapper de sa ferme et de ses vaches.

Au premier abord, ses deux-là n'ont rien pour s'entendre. De suite ils en peuvent pas « s'encadrer ». Benny trouve Désirée trop pâle, pas féminine pour deux sous, avec pas assez de formes. En plus, « elle a tout l'air de quelqu'un qui lit sans arrêt et de son plein gré. De gros livres avec des petits caractères et sans images. » Quant à lui, Il est beaucoup trop paysan pour Désirée.
Comment vont-ils passer outre les préjugés ? Comment ces deux-là vont-ils s'accorder le temps d'une rencontre ?

K. Mazetti raconte avec plein d'humour pince sans rire et de légèreté le choc des cultures, des éducations, la ville vs la campagne, l'intello et le manuel, la citadine et l'agriculteur. Il se dégage de cette histoire une fraîcheur pleine de tendresse. On s'attache rapidement à ces deux oiseaux là. Ils sont parfaits pour aborder l'air de rien des questions sérieuses comme le deuil, la vie qui continue, la solitude, la danse affolante des hormones, l'horloge qui tourne et les façons que tout à chacun trouve pour faire avec.

Un roman à deux voix délicieux à souhait.

Dédale

Extrait :

Je passe au moins une heure ici, à chaque fois, avant de m'en aller. Dans l'espoir sans doute de susciter un chagrin de circonstance, à force d'acharnement. On pourrait dire que je me sentirais beaucoup mieux si j'arrivais à me sentir moins bien, si j'étais capable de tordre les mouchoirs à la pelle ici sur mon banc, sans poser tout le temps ce regard en coin sur moi-même pour vérifier si mes larmes sont vraies.
La vérité, et elle est pénible, c'est que la moitié du temps je suis furieuse contre lui. Foutu Lâcheur, tu aurais quand même pu faire plus attention avec ton vélo. Et le reste du temps, je ressens probablement la même chose qu'un enfant quand son vieux canari malade a fini par rendre l'âme. Oui, je l'avoue.
Ce qui me manque, c'est sa compagnie indéfectible et la routine quotidienne. Plus de froissement de journal à côté de moi dans le canapé, ça ne sent jamais le café quand je rentre, l'étagère à chaussures est comme un arbre en hiver, dépouillée de tous les souliers et bottes d'Örjan.
Si je ne trouve pas « Dieu soleil en deux lettres », il me faut deviner, ou passer à la définition suivante.
[…]
Il y a quelques semaines, j'ai vu pour la première fois la personne en deuil devant la stèle tape-à-l'oeil. C'est un homme de mon âge avec un blouson voyant et une casquette doublée avec cache-oreille. La calotte est à l'américaine, plus haute devant, avec l'inscription LES FORESTIERS. Il était très occupé à biner et à nettoyer la plate-bande.
Presque rien ne pousse autour de la pierre d'Örjan. Il aurait probablement trouvé un petit rosier totalement déplacé, l’espèce n'a pas sa place dans le biotope des cimetières. Et le fleuriste devant l'entrée du cimetière ne vend pas d'achillées ni de reines-des-prés.
Le Forestier vient régulièrement à quelques jours d'intervalle, vers midi, toujours en trimbalant de nouvelles plantes et des engrais. Il dégage cette fierté propre aux cultivateurs du dimanche, comme si la tombe était son jardin ouvrier.
La dernière fois, il s'est assis à côté de moi sur le banc et il m'a observé du coin de l’œil, mais sans rien dire. Il avait une drôle d'odeur et seulement trois doigts à la main gauche.

Le mec de la tombe d'à côté
Le mec de la tombe d'à côté de Katarina Mazetti - Éditions Babel - 254 pages
Traduit du suédois par Lena Grumbach et Catherine Marcus