Mais revenons en arrière. L'héroïne, Joy, vient d'apprendre la mort de son mari. Elle prend l'avion pour l'Allemagne afin d'identifier le corps. Et déjà, elle s'interroge sur la véritable personnalité de ce mari qu'elle connaît à peine. Mariés depuis moins de 6 mois, ils n'ont finalement partagés que de rares moments ensemble, le mari étant sans cesse sur les routes européennes pour l'entreprise de cosmétique qui l'emploie. Joy ne peut ou ne veut croire les raisons du décès, et décide donc de retracer l'emploi du temps de son feu mari. Sa quête va l'emporter sur les routes sombres du mensonge et d'une mafia qui cache ses activités derrière une société ayant pignon sur rue.

La lecture de ce roman est une véritable expérience. Je mentirais en disant que tout y est fluide, reposant, facile d'accès. La femme d'un homme qui demande à son lecteur un engagement plein et entier et c'est une lecture éprouvante. L'énonciation à la seconde personne nous place d'office dans l'esprit malade de Joy. Anorexique, accro aux somnifères, victime d'hallucinations, elle nous entraîne dans sa dérive. La narration mélange en permanence réalité et fantasme, passé et présent, nous rendant otages consentants de ce discours confus où les obsessions reviennent comme des leitmotivs. De temps à autres, le monologue laisse la place au dialogue, mais là encore, tout se heurte et s'entrechoque. Les interlocuteurs ne finissent jamais leurs phrases et l'on a l'impression de lire des soliloques qui ne se rencontrent jamais.

- Je vais bien Marilyn… Je…
- Il faut absolument que tu viennes nous voir un de ces jours. Mon Dieu, désolée. Un des ces-
- Marilyn… Je… J'ai…
- Je t'ai dit de poser ça. Je plaisante plus maintenant. T'es mignonne. Mon Dieu, désolée. Un de ces-
- Marilyn, J'ai… C'est pas des bonne nouvelles… C'est Vincent…
Un enfant hurle. Un mère hurle à son tour. 

Que croire de ce qui est avancé ? Est-ce la réalité ? Le mari de Joy a-t-il vraiment fait partie de cette organisation souterraine aux objectifs malsains et illégaux ? Ou tout cela n'est-il que le délire d'une femme parfaitement folle ? Parfois, l'esprit de Joy revient dans le passé, à l'époque où elle était enfermée dans un hôpital psychiatrique. Elle avait alors une voisine de chambre qui lui racontait des histoires sordides. Mais cette voisine étrange n'est-elle pas une projection d'elle-même ? Et que dire de ce cauchemar qui la poursuit nuit après nuit... Est-ce un réminiscence ou un fantasme ? Nick Barlay brouille les pistes, sème la confusion et le lecteur se sent aussi perdu que la pauvre Joy.

Résumer l'intrigue serait une entreprise totalement vaine. Parce qu'elle n'est pas linéaire, bien sûr, mais aussi et surtout parce qu'il faut pénétrer l'esprit de Joy pour comprendre où Nick Barlay cherche à nous emmener. Comme je le disais, ce n'est pas une lecture facile ; souvent on suffoque, on étouffe, on cherche de l'air. Mais le narrateur omniscient, celui qui nous tutoie et nous confond avec Joy ne nous en laisse pas la possibilité. On s'enfonce à chaque page un peu plus dans la noirceur et la folie en se demandant qu'elle peut être l'issue. Il faudrait pour cela se libérer de ce Tu qui nous lie à Joy, réussir à devenir témoin extérieur de cette plongée dans la folie. Et quand ce moment arrive, si le destin de Joy est scellé, nous pouvons retrouver nos habits confortable de lecteur et assister un peu sonné au dénouement.

En refermant La Femme d'un homme qui, j'étais à la fois soulagée de retrouver mon identité et mon environnement, éprouvée par cette écriture dense et exigeante, mais aussi consciente d'avoir eu entre les mains l'œuvre d'un écrivain ambitieux et talentueux.

Laurence

Extrait :

Aucun doute ne subsiste dans ton esprit quant à la suite de ton programme. Tu suivras ses pas, c'est ce que tu fais déjà, étape après étape, sur ses talons comme pour le traquer, comme si tu ne pouvais compter que sur les faits et sur la vérité, comme si ton histoire et les sienne ne comptait qu'une seule histoire, une histoire vraie. La pluie balaie les vitres. Le moteur bourdonne. Le ferry s'incline. Un verre se déplace, en fait tinter un autre. Le ferry tangue. Tu t'endors. Tu rêve d'une femme qui tombait à travers elle dans son sommeil. Elle tombait à travers elle cent fois par nuit, se réveillant à chaque fois. Les somnifères puissant ne l'empêchait pas de se réveiller parce qu'ils ne l'empêchaient pas de tomber à travers elle. Ça arrive à tout le monde de temps à autre, c'est ce qu'on lui avait dit. C'est un spasme, tout simplement, une contraction musculaire involontaire. Qui s'appelle myoclonie. Ça arrive à tout le monde de temps à autre. Et ça arrive comme ça : tu es allongée, entre veille et sommeil ou endormie dans ton lit, et sans crier gare, tu tombe à travers toi, tout ton être au mépris de la gravité, en chute libre à travers un trou du lit, le corps se dérobe, plonge littéralement du dix-huitième étage comme l'ascenseur fou de tous ces films. Mais contrairement à un ascenseur, la myoclonie d'endormissement ne s'arrête que lorsque tu brises le processus. Tu dois contracter un muscle, le soumettre aux lois de la physique par un acte de volonté. Tu dois t'accrocher à quelque chose de solide, quelque chose de plus dur que toi. Tu dois te rappeler que tomber à travers toi est impossible. Tu dois ouvrir les yeux et les garder ouverts.

La femme d'un homme qui
La femme d'un homme qui de Nick Barlay - Éditions Quidam - 360 pages
Traduit de l'anglais par Françoise Marel